Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/199

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— Tais-toi ; entends-tu ? répondit-elle tout bas.

Pendant toute la journée, on se sentit mal à l’aise ; mes grands-parents échangeaient des regards inquiets tout en parlant bas ; je ne comprenais pas ce qu’ils voulaient dire et leurs phrases brèves augmentaient encore mon anxiété.

— Mère, allume les lampes partout devant les images saintes ! ordonna grand-père en toussotant.

On dîna sans appétit et très vite, comme si on attendait quelqu’un ; mon aïeul gonflait les joues avec lassitude et grommelait :

— Le diable est plus fort que l’homme ! On croyait qu’il était pieux, qu’il aimait l’église et voilà, voilà ! Hein ?

Grand’mère poussait un soupir.

Cette journée d’hiver, couleur d’argent terne, s’achevait dans une langueur accablante ; l’angoisse et les alarmes emplissaient la maison.

Vers le soir, un autre agent de police arriva, gros gaillard à cheveux roux qui s’installa sur le banc à la cuisine ; il somnolait, reniflait, et quand grand’mère demandait :

— Comment a-t-on su la chose ?

Il répondait d’une voix grasse, après un instant de silence :

— Chez nous, on sait tout, ne vous inquiétez pas de ça !

J’étais assis près de la fenêtre, chauffant dans ma bouche un vieux demi-kopeck, pour essayer d’imprimer sur le givre de la vitre l’effigie de saint Georges combattant le dragon.

Tout à coup, il y eut un brouhaha dans le corridor ;