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ET L’ANARCHIE

mangeront le lendemain si leur concurrent obtient à l’atelier la place qu’ils convoitent eux-mêmes.

Comment voulez-vous qu’ils soient solidaires quand ils pensent que la bouchée de pain qu’ils donnent parfois, au mendiant qui passe, pourra leur faire faute plus tard ? Comment ont-ils pu penser à la solidarité quand ils sont forcés de lutter pour la conquête du pain de chaque jour, qu’il y a une foule de jouissances qui seront toujours un paradis fermé pour eux ?

Peut-être est-ce ce besoin de se serrer les coudes pour la lutte qui les a rapprochés, et a, petit à petit, transformé ce sentiment en besoin d’amour du prochain ; mais quoi qu’il en soit, c’est à la société qu’il faut faire remonter la responsabilité de la survivance de la guerre entre individus et des animosités qui en découlent.

Comment voulez-vous que l’homme ne désire pas le mal quand il sait que la disparition de tel individu le fera monter d’un échelon, que la disparition de tel autre est une chance en sa faveur d’obtenir la place qu’il convoite ; l’élimination d’un concurrent dangereux ?

Comment l’individu résisterait-il aux incitations mauvaises de sa nature quand il sait pertinemment que ce qui sera un mal pour son voisin, doit être un bienfait pour lui ?