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ET L’ANARCHIE

ni de château-fort dans son voisinage, le paysan pouvait espérer un peu de répit ; en tout cas, il n’était pas contraint de fournir les plus belles années de son existence pour aller renforcer les bataillons de ses exploiteurs.

Il vint cependant une époque où les seigneurs commencèrent à armer les paysans de leurs terres, dans les cas de besoins pressants. Puis on attira, au moyen d’une prime ou par stratagèmes, ceux que l’on voulait enrôler dans les armées du roi ; mais il appartenait à la bourgeoisie de se décharger entièrement sur ses esclaves du soin de la défendre. C’est elle qui a perfectionné le système, en forçant les travailleurs à fournir un certain temps de leur jeunesse à la défense de leurs maîtres. Mais, comme elle ne pouvait, sans danger, leur mettre des armes dans les mains et leur dire : « Défendez-moi, pendant que je jouis », elle inventa le culte de la Patrie.

Et c’est à l’aide de ce mensonge qu’elle a pu amener les travailleurs à subir, pendant si longtemps, sans discuter, cet impôt du sang ; c’est à l’aide de ce sophisme, qu’à de nombreuses générations elle a pu enlever la portion la plus forte et la plus saine de leur jeunesse, l’envoyer pourrir moralement et physiquement dans les bagnes que l’on appelle casernes, sans que personne songeât à regimber et à s’y soustraire, sans qu’une voix s’élevât pour s’enquérir de quel droit on venait demander