Page:Grenier - La Mort du Juif-errant, 1857.djvu/76

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Je voulus me mêler à mon peuple, à la foule.
Mais comme un roc debout dans un fleuve qui coule,
Immobile au milieu des générations,
J’avais vu les mortels glisser par millions.
Le fleuve humain roulant son onde fugitive
Avait passé. J’étais resté seul sur la rive.
D’un voyage lointain je semblais revenu ;
Parmi des inconnus j’errais en inconnu.
Les choses seulement me restaient familières,
Et pour contemporains je n’avais que des pierres.
À peine les vieillards, même les plus lointains,
Me reconnaissaient-ils de leurs regards éteints.
À mon nom, à ma vue, ils secouaient la tête.
Heureux si leur mémoire était pour moi muette !
J’étais de trop au monde, et je voyais partout
Les signes de l’horreur, du mépris, du dégoût,