Aller au contenu

Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/298

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

après une tournée de trois heures, je rejoignis par Suippières la petite route de Meillers.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Comme j’allais reprendre à côté du moulin le chemin de Saint-Aubin, je me trouvai nez à nez avec mon camarade Boulois, du Parizet, qui s’en revenait de la messe. Depuis mon mariage nous étions grands ennemis, Boulois m’en ayant voulu ferme d’avoir abusé de sa confiance en épousant Victoire qu’il convoitait. Les jours de foire, quand le hasard nous mettait face à face, il me lançait des regards furibonds et, moi, je ne faisais pas semblant de le voir. Aussi cette rencontre inopinée nous stupéfia-t-elle l’un et l’autre. Boulois leva sur moi, comme de coutume, des yeux encolérés ; mais cette flamme mauvaise ne subsista pas.

— Tiens, te voilà par là, dit-il en s’arrêtant.

Je m’arrêtai aussi :

— Oui, j’ai voulu revoir mon ancien pays.

— Ah !

Un instant, il resta silencieux, visiblement embarrassé sur l’attitude à prendre. Enfin, il me tendit la main et dit, la voix émue :

― Et comment ça va-t-il, mon vieux ?

— Ça va tout doucement, merci… Et toi-même ?

— Moi, ça va comme les vieux, une fois bien, une fois mal, plus souvent mal que bien… Tiennon, reprit-il après un court silence, je te pardonne la crasse que tu m’as faite. Il y a assez longtemps que je te boude ; nous pouvons bien revenir amis.

— C’était très mal de ma part, je l’ai bien compris, va… Seulement, tu sais que je n’avais aucune situation…

— Oui, en te permettant de prendre un domaine, ce mariage t’a rendu un fier service ; tu aurais peut-être été obligé sans cela de rester toute ta vie journa-