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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/301

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LIII


Le chemin de fer à voie étroite dont Fauconnet nous avait dotés passait juste au bout d’un de nos champs et traversait au ras du sol, à cent mètres de chez nous, notre chemin d’arrivée. Son établissement avait donné lieu des récriminations sans nombre. Certains petits propriétaires expropriés, bien qu’ayant touché dix fois la valeur de leur terrain, gémissaient sans relâche du grand dommage à eux causé. D’autres criaient seulement après le tracé qu’ils trouvaient idiot. La voie faisait, en vérité, des courbes en masse et dont personne ne pouvait démontrer la nécessité. On disait que l’entrepreneur, certain d’un joli bénéfice, avait fait augmenter à dessein le nombre des kilomètres. On prétendait que le docteur Fauconnet et les autres Messieurs du Conseil Général s’étaient laissé rouler, qu’ils avaient gaspillé comme à plaisir l’argent des contribuables. Quand il y eut des élections pour le Conseil Général, les adversaires des conseillers ne manquèrent pas de les attraper à ce propos. (À leur place, auraient-ils évité toute bêtise ? Seraient-ils parvenus à contenter tout le monde ? Assurément non ! Mais en période électorale tous les moyens sont bons.)

Malgré toutes ses courbes, et en dépit des criailleries auxquelles il avait donné lieu, le chemin de fer marchait : huit ou dix fois par jour j’entendais ses sifflements et ses trépidations, et je le voyais passer. Les premiers temps, nous avions bien peur pour nos bêtes, les autres riverains et moi-même ; nous craignions qu’étant au pâturage elles ne franchissent la palissade