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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/302

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qui clôturait la voie, et aussi que le passage à niveau, dans la rue, ne soit très dangereux. Et nous pestions de compagnie contre ces inventions enragées destinées à enlever toute tranquillité au pauvre monde des campagnes. Néanmoins, mon rôle ayant toujours été de paraître optimiste, je m’efforçais de faire entendre à Victoire qu’elle exagérait lorsqu’elle disait qu’on ne pourrait plus avoir de chèvres, de cochons, ni de volailles, parce que tout cela ne manquerait pas d’aller se faire tuer. De fait, nous n’eûmes jamais à déplorer que la mort de deux oies.

Mais c’est surtout à la Marinette que le train faisait peur. De l’entendre, cela lui donnait un tressaillement convulsif, et quand il était à portée, elle le fixait obstinément de ses yeux vides, lui montrait le poing jusqu’à ce qu’il eût disparu ; elle disait que c’était le diable, et ce lui était un motif continuel à discours abracadabrants.

Quand je travaillais à proximité, je levais toujours la tête, moi aussi, pour voir défiler le convoi. Il y avait chaque jour deux trains de marchandise assez longs, formés en majeure partie de voitures découvertes garnies de chaux à l’aller et de charbon au retour. Mais bien plus encore s’allongeaient ces trains les jours de foire de Cosnes : c’était alors une succession à n’en plus finir de wagons fermés contenant des cochons grognants ou des bestiaux trop serrés, dont on apercevait les têtes inquiètes par les vasistas des portières. Les trains réguliers de voyageurs ne comprenaient d’habitude que deux ou trois voitures, souvent même une seule. Et cela avait presque l’air d’un joujou : cette petite machine au fourneau bas remorquant sa longue voiture brune, la promenant avec une sage lenteur au travers des champs, des prés et des bois. J’en vins à connaître tous les hommes à blouse bleue tachée de