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graisse et de charbon — chauffeurs et mécaniciens — qui conduisaient les convois ; et aussi les autres, ceux à casquette dorée et tunique noire à boutons jaunes qui se tenaient d’habitude sur l’une des plates-formes. J’en vins à connaître même une bonne partie des voyageurs. C’étaient des habitués de Moulins, toujours les mêmes ou à peu près : quelques bourgeois, quelques gros fermiers, des commerçants, des curés. En dehors des jours de foire, on n’y voyait jamais de paysans, ni d’ouvriers ; ceux-là n’ont ni les loisirs ni les moyens de se promener dans le train.

— Ce sont des malins, pensais-je, des gens qui s’arrangent à bien passer leur temps aux dépens du producteur et qui, par dessus le marché, se fichent de lui…

En effet, il y avait des fois où quelques-uns, mettant à la portière leurs têtes colorées d’oisifs trop bien nourris, semblaient avoir au passage des sourires d’ironie à l’adresse du vieux paysan laborieux que j’étais…


LIV


J’avais un bail de six années ; quand il expira, en 1890, j’hésitai beaucoup à le renouveler. J’avais soixante-sept ans et j’étais très affaibli. Victoire, bien qu’ayant trois ans de moins, était plus caduque encore que moi. Francis, qui touchait à ses treize ans, pouvait se louer et faire pour lui. (Je le plaçai, en effet, à la Saint-Jean suivante.) Néanmoins, je finis par consentir, à cause de la Marinette, à refaire un nouveau bail. Pouvais-je la ramener chez mes enfants, maintenant