Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/315

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Je m’étais mis à parler aussi, simultanément avec l’ami du député sortant. J’avais coutume de voter pour M. Gouget et mon intention était de lui être fidèle. Néanmoins, m’adressant au maître carrier, je m’affichai socialiste :

— Vous avez peut-être raison : il est certain que nous avons le droit d’être sceptiques, le droit de dire aux politiciens qui quémandent nos suffrages : « Ça ne prend plus, allez ! Nous en avons trop vu. La politique, c’est de la blague. Les politiciens sont tous des farceurs, des fumistes ou des ambitieux. Il y aura toujours des jouisseurs et des martyrs du travail, toujours des grugés, toujours des mécontents. » Oui, nous pouvons nous montrer très incrédules, mais au jour de l’élection il est peut-être de notre devoir quand même de voter pour les socialistes, ne serait-ce que pour embêter les bourgeois qui nous en font tant. Les bourgeois ont horreur du socialisme parce qu’ils craignent pour leur tranquillité, pour leurs biens, pour leurs rentes ; mais nous n’avons rien à craindre, nous, toutes nos rentes étant au bout de nos bras : nous pouvons toujours voir.

— Vous avez foi au partage, père Bertin ; vous voudriez avoir votre locaterie sans payer de fermage… Oui, mais si l’on vous envoyait à tel ou tel endroit, — il me citait de mauvaises locateries très mal situées, — qu’est-ce que vous diriez ? Ça ne serait pas commode à faire, allez, et les partageurs auraient du mal à sauver leurs yeux. Mais la propriété individuelle n’est pas près d’être morte.

— On ne peut pas changer des choses qui ont toujours existé, dit le père Daumier.

— Je ne suis pas aussi partageux que vous avez l’air de le croire, dis-je, répondant au carrier. Le partage est impossible et, d’ailleurs, je crois qu’on n’en parle guère.