Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/317

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de son domaine ? Cela serait très possible maintenant que les jeunes savent lire et écrire. Et nous aurions des ventrus de moins à nourrir sans rien faire…

— Bien dit, fit le carrier en se levant pour aller rejoindre deux de ses ouvriers qu’il voulait solder.

— Bravo ! père Tiennon. Vive la sociale ! s’exclamèrent trois jeunes gens qui m’avaient entendu.

Et ils offrirent le café. Mais je me sentais un peu étourdi par le bruit de la salle, par la chaleur et la fumée. Je regardai la pendule.

― Non, mes amis, non : il est temps que j’aille panser mes vaches.

Daumier intervint.

— Allons, buvons le café avec ces jeunes gas, vieux socio.

— Non, sérieusement, j’ai un peu le mal de tête, ça ne me ferait pas de bien. D’ailleurs, j’ai bien assez causé. Jusqu’à présent, j’ai dit franchement ma façon de penser ; maintenant je ne saurais que me répéter ou dire des bêtises ; c’est toujours ce qui arrive quand on reste au café longtemps. Au revoir.

Et je partis, laissant le père Daumier qui se grisa abominablement. C’est la seule fois de ma vie qu’il m’arriva de tant causer politique.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les élections furent vite oubliées, et les discussions et les rêves d’amélioration sociale auxquelles elles avaient donné lieu, en présence du grand désastre qu’on eut à subir cette année-là : tout le printemps, tout l’été sans pluie ; un soleil constant qui brûlait les plantes jusqu’en leurs racines ; une récolte de foin dérisoire ; une récolte de céréales très médiocre ; les pâtures grillées, desséchées ; toutes les mares vidées ; les animaux tombés à rien : tel en fut le bilan. Je fus obligé d’aller au bois râteler des feuilles sèches dont