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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/319

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pour nous soigner. Cette attaque d’influenza emporta la Marinette qui s’était affaiblie beaucoup depuis un certain temps. Je fus bien heureux de lui survivre. Mais, pour moi aussi, je crus que ç’allait être la fin, tellement je me sentais sans force, miné par la fièvre, épuisé par une toux horrible qui m’arrachait l’estomac. Je guéris pourtant, bien péniblement à vrai dire, après être resté traînard et courbaturé pendant plusieurs mois ; je ne retrouvai plus, d’ailleurs, qu’une petite moitié de la vigueur que j’avais conservée jusque-là.

Alors j’aspirai au jour où, mon bail fini, je pourrais retourner avec mes enfants.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Pendant cette période, mes idées furent souvent lugubres. Je pensais que je restais là tout seul, comme un vieil arbre oublié dans un taillis au milieu de la poussée des jeunes, vieil arbre échappé à la cognée du bûcheron funèbre sous les coups de laquelle étaient tombés un à un ceux que j’avais connus. Morte, ma grand’mère en châle brun et chapeau bourbonnais. Mort, l’oncle Toinot qui avait servi sous le grand empereur et qui avait tué un Russe. Morts, mon père et ma mère, lui bon et faible, elle souvent mauvaise et brutale, d’avoir été trop malheureuse. Morts, le père et la mère Giraud, et leur fils le soldat d’Afrique, et leur gendre le verrier qui parlait toujours de tirer le pissenlit par la racine. Morts, mes deux frères et mes deux sœurs. Morte, Victoire, la bonne compagne de ma vie, dont les défauts ne m’apparaissaient que très peu sensibles, comme devaient lui apparaître les miens, sous l’effet de l’accoutumance. Morte, ma petite Clémentine, douce et mutine. Morte, Berthe, la délicate fleur de Paris, des suites d’une couche pénible. Morts, Fauconnet père et fils, Boutry, Gorlier, Parent, Lavallée, Noris. Morts, tous ceux qui avaient joué un