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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/320

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rôle dans ma vie, y compris Thérèse, ma première amoureuse. Je les revoyais souvent : ils défilaient de compagnie dans mes rêves de la nuit, dans mes souvenirs de la journée. La nuit ils revivaient pour moi ; mais le jour, il me semblait parfois marcher entre une rangée de spectres.

Et pourtant, pas plus qu’autrefois, l’idée de la mort ne m’effrayait pour moi-même. Ah ! mes premières émotions funèbres à la Billette, lors du décès de ma grand’mère ! mon serrement de cœur à l’entrée de la grande boîte longue où on devait la mettre, et ma tristesse poignante, sincère, en entendant tomber les pelletées de terre sur le cercueil descendu dans la fosse ! J’avais trop vu de scènes semblables depuis ; et mon cœur à présent restait dur et fermé. À chaque nouveau convoi augmentait mon indifférence, au point que j’en étais effrayé moi-même. Et pourtant mon tour approchait ; je songeais vaguement que bientôt ce serait moi qu’on clouerait dans une caisse semblable, dans une caisse qu’on descendrait aussi, avec des câbles, au fond d’un trou béant et sur laquelle on jetterait par pelletées le gros tas de terre resté au bord, comme la barrière infinie qui sépare la mort de la vie ! Mais cette pensée même ne m’émeuvait pas.

D’ailleurs, en dehors de ces minutes d’évocations débilitantes et mauvaises, je m’intéressais à toutes les floraisons d’énergie qui s’épanouissaient derrière moi. Mes fils étaient les hommes sérieux, les hommes vieillissants de l’heure actuelle. Mes petits-fils représentaient l’avenir ; ils avaient l’air de croire que ça ne finirait jamais… Pourtant, l’enfance, derrière eux, gazouillait, croissait…