Page:Guizot - Sir Robert Peel, 1859.djvu/10

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dans la vie politique ! Nos pères, qui ont vu l’aurore de ce temps, le croyaient déjà bien grand, et s’applaudissaient orgueilleusement de sa grandeur. Elle a infiniment dépassé leur attente. L’ébranlement imprimé en 1789 aux sociétés humaines s’est étendu, aggravé, transformé, renouvelé au delà de toute prévoyance, de toute imagination. Chacune des générations qui se sont succédé depuis cette époque s’est crue au terme de la crise, et toutes ont été forcées de reconnaître qu’elles n’én avaient pas soupçonné la puissance ; toutes ont repris, bon gré mal gré, leur course vers un avenir inconnu. Et nous-mêmes, après soixante ans de métamorphoses et d’épreuves, relancés tout à coup sur cet océan d’où l’on ne voit plus de terres, pouvons-nous dire aujourd’hui, à l’abri de notre nouvelle relâche, vers quels abîmes ou vers quels ports nous poussera encore ce grand vent de 1789 tant de fois assoupi et jamais épuisé ?

C’est une redoutable épreuve, quand on entre dans la vie à une telle époque, que le choix à faire entre les principes et les partis en présence. Tant de belles*vérités et tant d’odieuses erreurs si confusément mêlées, tant de nouveautés généreuses et ta&t de traditions respectables, l’esprit d’ordre et l’esprit de liberté, ces deux grandes forces morales, aveuglément aux prises ; la sympathie légitime pour le progrès de l’humanité et la juste défiance de son orgueilleuse faiblesse, que de séductions et d’alarmes, que d’entraînements et de perplexités pour les grands esprits et les nobles cœurs !