Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/52

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d’ongle aux endroits délicats. Ils en dissertaient seuls, le lendemain, au jardin, ou le soir, dans le salon, quand tout le monde jouait aux cartes ou écoutait M. Renaud faire des contes.

Ils désiraient tous deux être à l’été. « Ah ! s’il faisait beau, disaient ils, nous monterions à cheval et nous galoperions longtemps dans les bois et sur le tapis vert des prairies ». Ils auraient voulu s’en aller, au fond des forêts, écouter l’eau couler sur la mousse et le rossignol chanter la nuit.

Dans leurs discours sur les choses de ce monde, Mme Renaud parlait beaucoup des tendres sentiments et des affections du cœur ; Henry, de la beauté et de la bravoure. Depuis quelque temps, en effet, il se sentait brave et fort, un duel ne lui eût pas déplu, surtout s’il en fût sorti avec une blessure et que Mme Renaud l’eût admiré. C’était, vous dis-je, un oubli complet du monde et une extase sans fin sur le soleil, sur la nuit, sur la mer, sur la lune, sur les nuages, sur les ruines, sur la poésie, sur l’amitié.

Mais les plus doux moments étaient ceux où, ayant épuisé toute parole humaine et se taisant, ils se regardaient avec des yeux avides, puis ils baissaient la tête et, absorbés, songeaient à tout ce qui ne se dit pas. Quand ils se réveillaient de leur rêverie, Henry rougissait, Mme Renaud souriait de son plus délicieux sourire, clignant des yeux, la tête en arrière et de côté, le cou gonflé comme une colombe qui roucoule.

Pas un dimanche ne se passait sans qu’elle ne vînt le voir dans sa chambre, l’après-midi, au crépuscule, à l’heure la plus mélancolique de la journée ; elle lui parlait de sa famille, qu’elle eût voulu connaître, de sa mère, de sa sœur surtout, qui lui ressemblait, elle les chérissait tous. Lui aussi s’inquiétait de sa vie passée, de son enfance et de ses caprices de petite fille, de ses amies du couvent, s’efforçant par l’imagination de ressaisir tous les jours qu’elle avait vécus loin