Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/218

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avait passé le seuil, et les murs dans leurs angles gardaient encore de la nuit les mots entrecoupés, les mots endormis.

Alors tu t’imaginas son époux, tu pensas que tu aurais pu l’être, que tu l’avais été ; tu sentis sous tes doigts trembler sa ceinture, et une bouche qui montait à tes lèvres.

Tu la regardais : sur son cou, du côté gauche, il y avait une tache rose ; le désir, comme la foudre, courut dans tes vertèbres, une seconde fois tu étendis la main… Hah ! hah ! hah ! dans un myrte l’alouette cria, — les mariniers sur le fleuve prirent leur chanson et tu te remis en prières.

antoine.

En effet… oui… il est vrai… je me rappelle.

la voix.

Les pointes de ses seins soulevaient sa chemise.

antoine.

Je sens encore sous mes pieds le craquement des poutres peintes.

la voix.

La bague d’or de son doigt, frappée par une des torches, lançait un grand rayon qui venait droit à ton œil.

antoine.

C’était une nuit comme celle-ci, l’air était lourd, j’avais la poitrine défaillante… Ah ! je voudrais me coucher sur l’herbe et tremper ma tête à des sources vives !

le cochon
se frottant le ventre contre terre.

Ça me démange, ça me démange, quoi trouver ?

la voix.

Là-bas est une prairie, les barques s’y arrêtent, la litière est sur le bord, dans les sables elle avance, remuant aux bras noirs des eunuques qui marchent d’accord à pas pressés. C’est la fille des consuls, qui languit d’ennui sous les grands pins de ses villas ; c’est la Grecque curieuse, qui désire un dieu nouveau ;