Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/236

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c’est la pénitence, père des miséricordes, fais pleuvoir des flammes sur ma tête, mais que ton amour me remplisse, que la prière me suffise, que la pénitence me soulage. Comme un homme fatigué qui voudrait dormir et que les mouches harcèlent, qui se retourne, qui passe la main sur sa figure, qui se cache dans ses vêtements, qui pleure et qui sanglote, au sein des ténèbres, sans cesse éveillé, je sens sur moi quelque chose d’insaisissable et de nombreux qui passe et qui revient, qui me brûle et qui me mange, qui me chatouille et qui me dévore.

Oh ! que je voudrais m’attendrir dans les larmes, car je ne t’aime pas, Seigneur, pas autant que je le désire ; accorde-moi donc la dilection de ta majesté, l’enivrement de ta grâce ; tu accordes bien au corps ce qu’il lui faut, donne à l’esprit la pâture dont il a faim ; je te la demande, je te la demande comme un mendiant qui se jette aux genoux du roi et que le roi n’écoute pas et qu’il traîne après lui, dans la boue, cramponné à la frange d’or de son manteau. Aie compassion du pauvre solitaire !

Tu es si grand ! je suis si petit ! Oh ! si je pouvais partir vers toi, si je pouvais, porté par le désir, y monter comme un souffle ! Où est l’élan qui me poussera, l’idée qui m’enlèvera ?

N’ai-je point des choses un détachement assez complet ? J’essaie pourtant à absorber mon âme dans une adoration permanente, je suis l’ombre d’une pensée profane, j’ose à peine respirer, j’ai honte de vivre, je suis humilié de mon corps.

Comme une lampe que l’on descend dans un sépulcre, j’ai, avec ma douleur, cherché en moi les restes des passions de la vie et je n’en ai pas reconnu la poussière, tant elle est vieille et disparue ! Pourquoi donc sur les parois de mon cœur le ver se traîne-t-il toujours, comme s’il avait encore quelque chose à prendre ? Il me semble que je ne suis pas coupable, je sens bien plus que je ne suis pas pur, et c’est une désolation pour moi.

Quand je prie le cœur est absent, quand je me mortifie je ne m’aperçois plus de la douleur ; mes pensées, que je voudrais saisir toutes ensemble pour les réunir en Dieu, glissent l’une sur l’autre et s’échappent de moi, comme de la main d’un enfant un faisceau de flèches qu’il ne peut retenir et qui tombent par terre en lui blessant les genoux, ou comme un troupeau de chèvres qui se dispersent de tous côtés, quoique le pasteur les appelle, quoiqu’il les chasse avec sa houlette, quoiqu’il coure haletant autour de la prairie ; elles s’en vont à l’aventure boire au torrent, se percher sur les monts, s’égarer dans les bois pour se faire dévorer par les loups, pour se faire saillir par les boucs sauvages.

Y a-t-il sur la terre un homme plus lamentable que moi ? Job, assis sur son fumier, pouvait penser du moins aux joies qu’il avait eues, et fouillant dans son souvenir, comme à des cendres tièdes y réchauffer sa misère ; mais moi, je n’ai pas eu de famille, des