même. Les Polynésiens pratiquent l’infanticide sans l’ombre
d’un remords ; mais ils peuvent aimer très tendrement les
enfants qu’ils ont jugé bon de conserver. Il y a dans l’effort
qu’exige l’abstention un déploiement de volonté parfois
plus grand que dans l’action, mais moins visible ; de là
vient que les moralistes ont été portés à lui attribuer une
importance secondaire : on ne sent pas l’effort d’Hercule
soulevant un fardeau à bras tendu, précisément parce que
ce bras est immobile et ne tremble pas ; mais cette
immobilité coûte plus d’énergie intérieure que bien des mouvements.
Nous n’avons considéré jusqu’à présent le sentiment moral que comme un sentiment conscient de son rapport avec les autres sentiments de l’esprit humain, mais non raisonné quant à son principe et à ses causes cachées, non philosophique en un mot. Que va-t-il se produire lorsque ce sentiment deviendra réfléchi, raisonné, lorsque l’homme moral voudra expliquer les causes de son action et la légitimer ? À en croire M. Spencer, l’obligation morale, qui implique résistance et effort, devra disparaître un jour pour laisser place à une sorte de spontanéité morale. L’instinct altruiste sera si incomparablement fort que, sans lutte, il nous entraînera. Nous ne mesurerons même pas sa puissance, parce que nous n’aurons pas la tentation d’y résister. Alors, pourrait-on dire la force de tension que possède l’idée du devoir se transformera en force vive dès que l’occasion se produira, et nous n’en prendrons pour ainsi dire conscience que comme force vive. Un jour viendra, dit même M. Spencer, où l’instinct altruiste sera si puissant que les hommes se disputeront les occasions de l’exercer, les occasions de sacrifice et de mort.