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le théisme. idée de création.

moral de l’homme, afin de dégager la responsabilité de Dieu.

On a essayé bien des hypothèses pour sauver l’optimisme dans une certaine mesure, pour excuser le créateur sans compromettre le sens moral et l’instinct du progrès. Ou s’est efforcé de montrer dans le mal physique (la souffrance), dans le mal intellectuel (l’erreur ou le doute), une condition sine qua non du bien moral ; ce qui les justifierait. Le mal moral resterait ainsi le seul mal véritable, et comme précisément ce mal est constitué par la mauvaise volonté de l’homme, c’est donc à l’homme seul qu’en reviendrait la responsabilité. Selon cette hypothèse, il n’y aurait de mauvais dans l’univers que le méchant, c’est-à-dire celui qui s’est fait seul ce qu’il est. Et encore le mal moral lui-même pourrait être considéré comme une condition suprême du bien moral, ce dernier supposant un choix, une alternative tranchée par la volonté, une double voie toujours ouverte. Tout le mal de l’univers serait ainsi compensé par la moralité, toute la souffrance par la vertu, toutes les erreurs par l’affirmation pratique du bien, toutes les fautes par la bonne volonté. Le monde lui-même ne serait qu’un moyen pour produire la moralité, et, dans son apparente imperfection, il serait le meilleur possible parce qu’il servirait à produire ce qu’il y a de meilleur.

Le monde, a-t-on dit, ne peut pas être absolu de tout point, car alors il serait Dieu ; il faut toujours qu’il reçoive quelque chose ; mais, moins il reçoit, plus il agit par lui-même, se développe par lui-même, et plus il se rapproche de l’absolu ; de telle sorte que sa pauvreté même fait sa grandeur, en lui permettant de se donner la véritable richesse, celle qu’on n’emprunte pas à autrui, mais que soi-même on conquiert. Tout se transfigure donc, selon cette hypothèse : chaque misère devient un mérite. Dieu a voulu créer le monde le plus « spontané » possible, c’est-à-dire, au fond, créer le moins possible, remettre tout à l’initiative des êtres. Laissez faire, telle est la devise de Dieu, comme de tout bon gouvernement. Un résultat moindre, mais obtenu par la spontanéité, est supérieur à un résultat plus grand obtenu par l’artifice. « L’art divin », a dit un philosophe en commentant les plus hautes pensées de Platon, « est infiniment supérieur à l’art humain ; il crée des individus ayant leur fin en eux-mêmes et chez lesquels le fond projette la forme. Ces individus ne sont plus, comme le croyait Leibniz, des automates… La vraie perfection est la perfection autonome… Si Dieu n’était qu’un démiurge, on pourrait et