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LE TEMPS ET LA MÉMOIRE

autre et qui n’ont une voix et un langage que pour nous. Mais cet amour confus que produisent la mémoire et l’habitude n’est jamais exempt de tristesse ; il est même une des plus vives sources de nos peines, car son objet varie toujours à la longue et s’associe inévitablement au souvenir de choses qui ne sont plus, de choses perdues. La conscience est une représentation d’objets changeants ; mais elle ne change pas aussi vite qu’eux ; pendant qu’un milieu nouveau se fait auquel il faut que nous nous accommodions, nous gardons encore dans les profondeurs de notre pensée le pli et la forme de l’ancien milieu ; de là une opposition au sein même de la conscience, deux tendances qui nous portent, l’une vers le passé auquel nous tenons encore par tant d’attaches, l’autre vers l’avenir qui s’ouvre et auquel déjà nous nous accommodons. Le sentiment de ce déchirement intérieur est une des causes qui produisent la tristesse du souvenir réfléchi, tristesse qui succède, chez l’homme, au charme de la mémoire spontanée. Il y a dans la méditation d’un événement passé, quel qu’il soit, un germe de tristesse qui va s’augmentant par le retour sur soi. Se rappeler, pour l’être qui réfléchit, c’est être souvent bien près de souffrir. L’idée de passé et d’ave-