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DEUXIÈME APPENDICE

Guyau est encore revenu sur la poésie du temps dans ses Vers d’un Philosophe ; voici la pièce intitulée Le Temps.


LE TEMPS

I

LE PASSÉ

Nous ne pouvons penser le temps sans en souffrir.
En se sentant durer, l’homme se sent mourir :
Ce mal est ignoré de la nature entière.
L’œil fixé sur le sol, dans un flot de poussière,
Je vois passer là-bas, en troupe, de grands bœufs ;
Sans jamais retourner leurs têtes en arrière,
Ils s’en vont à pas lourds, souffrants, non malheureux ;
Ils n’aperçoivent pas la longue ligne blanche
De la route fuyant devant eux, derrière eux,
Sans fin, et dans leur front qui sous le fouet se penche
Nul reflet du passé n’éclaire l’avenir.
Tout se mêle pour eux. Parfois je les envie :
Ils ne connaissent point l’anxieux souvenir,
Et vivent sourdement, en ignorant la vie.