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ii
PRÉFACE.

nomme chez les dieux immortels, mais les mortels lui donnent un autre nom, et l’on a dit que Hégel parlait aussi ces deux langues, tantôt celle des dieux immortels et tantôt celle des hommes. La vigueur de son esprit l’élevait souvent à des hauteurs inaccessibles à toutes les langues, même à la langue allemande qui s’est prêtée depuis trois siècles à tant de systèmes, et s’est accommodée à de si grandes abstractions. Aujourd’hui cependant on commence à le mieux comprendre ; car depuis que ce philosophe allait, un manuscrit sous le bras, et le jour de la bataille d’Iéna, cherchant par les rues de cette ville un éditeur pour son premier ouvrage, la phénoménologie de l’esprit, un demi-siècle s’est écoulé ; on l’a étudié, on l’a compris, et l’on est parvenu à pouvoir le traduire après l’avoir suffisamment approfondi.

Mais il est clair, par ce qui précède, qu’on ne saurait le traduire à la lettre ou mot à mot, comme on le fait des autres livres de science ; et que cette traduction, fût-elle possible, nul ne voudrait la lire. A l’appui de cette opinion, qui ne doit surprendre que ceux qui ne connaissent point la langue et la philosophie allemandes, nous invoquerons le témoignage des écrivains qui se sont occupés jusqu’ici de travaux analogues, et particulièrement celui de deux hommes dont l’autorité est irrécusable. « Hégel, dit M. Wilm, est dans son langage et dans toute sa manière d’être et de sentir, le plus Allemand des penseurs de l’Allemagne. Il est par cela même le plus intraduisible des écrivains. Il se sert d’une foule de mots arbitrairement composés, qui se refusent à toute version directe, et qui, le plus souvent, ne peuvent être rendus en français par des circonlocutions qu’aux dépens de la précision et quelquefois de la clarté et de la fidélité[1]. »

M. Bénard, l’habile et persévérant traducteur du cours d’Esthétique de Hégel, travail qui a obtenu l’année dernière un prix de trois mille francs de l’Académie des sciences morales et politiques, comme ouvrage utile aux mœurs, dit dans sa préface : « Nous sommes persuadé qu’une traduction complète et littérale serait barbare et inintelligible. » Et encore : « Le style de Hégel, par ses

  1. Hist. de la ph. all., t. III, p. 383.