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TAS DE PIERRES. — I.

Quand l’homme de guerre a fini sa besogne de héros, il rentre dans sa maison et pend son épée au clou. Il n’en va pas de même pour les penseurs. Les idées ne s’accrochent pas au clou comme les épées. Quand le philosophe, quand le poëte se repose, ses idées continuent de combattre. Elles s’en vont en liberté, comme des folles sublimes, tout briser dans les mauvaises âmes et remuer le monde.

[1844-1848.]

L’intelligence et le cœur sont deux régions sympathiques et parallèles ; l’une ne s’élargit pas sans que l’autre s’agrandisse ; l’une ne se hausse pas sans que l’autre s’élève.

Dans le domaine de l’art, il n’y a pas de lumière sans chaleur.


Les idées sont des épées vivantes qui, une fois forgées par le génie, prennent des ailes et combattent toutes seules et sans avoir besoin d’une main qui les tienne.

[1847-1848.]

Les lettrés, les érudits, les savants, montent à des échelles ; les poëtes et les artistes sont des oiseaux.

[1840-1844.]

Voulez-vous voir d’un seul coup d’œil, dans une sorte d’abrégé clair, frappant, profond et vrai, qui donne la solution en même temps que le problème, la figure de beaucoup de questions et entre autres de la question littéraire de ce siècle, regardez un chêne au printemps : vieilles racines, tronc vieux ; vieilles branches, feuilles vertes, fraîches et nouvelles. La tradition et la nouveauté, la tradition produisant la nouveauté, la nouveauté surgissant de la tradition. Tout est là.

[1838-1840.]

L’homme, même le plus vulgaire et le plus positif, comme on dit de nos jours, a besoin de rêverie. Ne fût-ce qu’un instant. Ne fût-ce qu’un éclair, il lui en faut. Mais toutes les âmes n’ont pas le don merveilleux de rêver spontanément. Ce qui fait que la musique plaît tant au commun des hommes, c’est que c’est de la rêverie toute faite. Les esprits d’élite aiment la musique, mais ils aiment encore mieux faire leur rêverie eux-mêmes.

[1840-1844.]