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TAS DE PIERRES. — III.

Mais les esprits envieux que suit le troupeau des esprits superficiels crient : antithèses ! antithèses ! puérilités !

Ces braves gens ne s’aperçoivent pas qu’à ce compte, le jour et la nuit, l’hiver et l’été, le ciel et la terre, le bien et le mal, le vice et la vertu, le feu et l’eau, le soleil et la lune, l’homme et la femme, le néant et la création, le faux et le vrai, la vie et la mort, ne sont que des « contrastes puérils » et que le bon Dieu n’est qu’un faiseur d’antithèses.

Qu’un homme un peu lettré prenne la peine de fouiller dans sa mémoire, qu’il y cherche tout ce qu’il a retenu de beau en lisant les grands poëtes, les grands philosophes, les grands écrivains, il s’apercevra que sur cinquante citations qui lui viennent à l’esprit, quarante-neuf appartiennent à ce qu’on est convenu d’appeler l’antithèse.

Ce qu’on appelle l’antithèse n’est autre chose que le clair-obscur du style.

[1840-1844.]

Ô critiques ! Quand nous disons : c’est de la poésie ! vous dites : ce n’est que de la couleur ! Pauvres gens ! le soleil aussi n’est qu’un coloriste.

[1838-1843.]

Il y a un rapport intime entre les langues et les climats. Le soleil produit les voyelles comme il produit les fleurs ; le nord se hérisse de consonnes comme de glaces et de rochers. L’équilibre des consonnes et des voyelles s’établit dans les langues intermédiaires, lesquelles naissent des climats tempérés. C’est là une des causes de la domination de l’idiome français. Un idiome du Nord, l’allemand, par exemple, ne pourrait devenir la langue universelle ; il contient trop de consonnes que ne pourraient mâcher les molles bouches du Midi. Un idiome méridional, l’italien, je suppose, ne pourrait non plus s’adapter à toutes les nations ; ses innombrables voyelles à peine soutenues dans l’intérieur des mots s’évanouiraient dans les rudes prononciations du Nord. Le français, au contraire, appuyé sur les consonnes sans en être hérissé, adouci par les voyelles sans en être affadi, est composé de telle sorte que toutes les langues humaines peuvent l’admettre. Aussi ai-je pu dire et puis-je répéter ici que ce n’est pas seulement la France qui parle français, c’est la civilisation.

En examinant la langue au point de vue musical, et en réfléchissant à ces mystérieuses raisons des choses que contiennent les étymologies des mots, on arrive à ceci que chaque mot, pris en lui-même, est comme un petit orchestre dans lequel la voyelle est la voix, vox, et la consonne l’instrument.