Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome X.djvu/484

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proprement parler, son origine des Contemplations, du moins il en est, pour la majeure partie des poésies, le contemporain.


Le livre épique sort tout entier de la Légende des Siècles. Victor Hugo, alors installé à Guernesey, emporte par le souffle épique, avait élargi son premier projet, déjà ancien, des Petites épopées. Il entrevoyait, en 1857, de grandes et magnifiques fresques qu’il logerait dans une galerie immense, colossale, et il écrivait la Vision d’où est sorti ce livre:

J’eus un rêve, le mur des siècles m’apparut.

C’était l’histoire de l’humanité qui se dressait devant lui, et au moment où l’œuvre montait, grandissait, grossissait sans cesse, à la fin de l’année 1857 le poète rencontrait une de ses plus grandioses, de ses plus sublimes envolées dans la Révolution, placée aussitôt dans une des divisions de la Légende des Siècles, le Dix-Neuvième siècle.

Ce poème formera plus tard le livre épique des Quatre vents de l’Esprit. Mais avant de remplir toute sa destinée, que d’épreuves, que de fortunes diverses il traversera !

La Légende des Siècles doit être publiée en plusieurs séries ; la Révolution sera comprise dans la première, puis elle sera réservée pour la seconde, puis elle reposera à côté d’autres poèmes comme l’Âne, la Pitié suprême, parce que des champs nouveaux, des horizons infinis s’ouvrent au poète. Ah ! Victor Hugo ne suivait guère les fameux préceptes qu’Horace donnait aux poètes : de se modérer, de commander à leur inspiration, de la ménager, d’avoir surtout le souci des poèmes à venir. Son cerveau, toujours en mouvement, était si rempli d’idées, de pensées et d’images, qu’il éprouvait comme un soulagement à les mettre au jour ; sa muse pouvait parfois sommeiller, il ne donnait pas de répit à son cerveau. Tout au plus l’autorisait-il à se détendre en lui offrant quelque diversion ; et si, jusqu’en 1860, il avait largement et superbement payé son tribut à la poésie, il revenait alors au roman, à ses Misérables commencés avant l’exil auxquels il se consacrait jusqu’au 19 mai 1862. Mais il n’oubliait pas sa Légende des Siècles, et, à la fin de 1862, il écrivait les Sept merveilles du Monde. C’était une occasion pour lui d’arrêter sa seconde série ; il la classe ainsi : La Révolution, les Objections de l’âne, la Pitié suprême, les Sept merveilles du Monde[1].

Grâce à cette classification, même provisoire, il se sentait plus libre de poursuivre le roman. Il écrit alors William Shakspeare, les Travailleurs de la mer, l’Homme qui Rit. Ces œuvres achevées, publiées, il revient en 1869 à la poésie ; il bouleverse l’ordre arrêté en 1862 et se décide à détacher de la Légende des Siècles : l’Âne, la Pitié suprême et la Révolution.


La Révolution et la Pitié suprême dataient de la même époque, et quoique les deux poèmes fussent séparés, néanmoins il y avait eu entre eux des liens de parenté.

Nous avons vu, en effet, que dans le manuscrit de la Révolution le poète donnait l’indication suivante :

Ici peut être l’apostrophe à Henri IV, mais bien peser.

Or cette apostrophe a été publiée en grande partie dans la Pitié suprême. Il est donc bien certain qu’il y a eu des points de contact entre les deux poèmes. Nous n’irons pas jusqu’à dire que Victor Hugo avait l’idée de faire un unique poème de la Révolution et de la Pitié suprême ; qu’après avoir exposé toutes les violences et toutes les cruautés des rois il voulait terminer par un appel à la pitié suprême ; mais au moment où il détache la Pitié suprême de la Légende des

  1. Voir tome II de la Légende des Siècles de cette édition, Historique, p. 528.