Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/226

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— Je ne voudrais point d’autre bouclier contre toi.

On eût dit qu’il y avait dans le regard d’Ordener quelque chose qui dominait le monstre. Il se mit à arracher avec ses ongles les poils de son manteau, comme un tigre qui dévore l’herbe avant de s’élancer sur sa proie.

— Tu m’apprends ce que c’est que la pitié, dit-il.

— Et à moi, ce que c’est que le mépris.

— Enfant, ta voix est douce, ton visage est frais, comme la voix et le visage d’une jeune fille ; — quelle mort veux-tu de moi ?

— La tienne.

Le petit homme rit.

— Tu ne sais point que je suis un démon, que mon esprit est l’esprit d’Ingolphe l’Exterminateur.

— Je sais que tu es un brigand, que tu commets le meurtre pour de l’or.

— Tu te trompes, interrompit le monstre, c’est pour du sang.

— N’as-tu pas été payé par les d’Ahlefeld pour assassiner le capitaine Dispolsen ?

— Que me dis-tu là ? Quels sont ces noms ?

— Tu ne connais pas le capitaine Dispolsen, que tu as assassiné sur la grève d’Urchtal ?

— Cela se peut, mais je l’ai oublié, comme je t’aurai oublié dans trois jours.

— Tu ne connais pas le comte d’Ahlefeld, qui t’a payé pour enlever au capitaine un coffret de fer ?

— D’Ahlefeld ! Attends ; oui, je le connais. J’ai bu hier le sang de son fils dans le crâne du mien.

Ordener frissonna d’horreur.

— Est-ce que tu n’étais pas content de ton salaire ?

— Quel salaire ? demanda le brigand.

— Écoute : ta vue me pèse ; il faut en finir. Tu as dérobé, il y a huit jours, une cassette de fer à l’une de tes victimes, à un officier de Munckholm ?

Ce mot fit tressaillir le brigand.

— Un officier de Munckholm ! dit-il entre ses dents.

Puis il reprit, avec un mouvement de surprise :

— Serais-tu aussi un officier de Munckholm, toi ?

— Non, dit Ordener.

— Tant pis !

Et les traits du brigand se rembrunirent.