Page:Hugo - L'Homme qui rit, 1869, tome 3.djvu/144

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sortait, couronnée et prodigieuse, la royauté du misérable. « Tu es horrible. Je t’aime. » Ces mots atteignaient Gwynplaine à l’endroit hideux de l’orgueil. L’orgueil, c’est là le talon où tous les héros sont vulnérables. Gwynplaine était flatté dans sa vanité de monstre. C’était comme être difforme qu’il était aimé. Lui aussi, autant et plus peut-être que les Jupiters et les Apollons, il était l’exception. Il se sentait surhumain, et tellement monstre qu’il était dieu. Éblouissement épouvantable.

Maintenant, qu’était-ce que cette femme ? que savait-il d’elle ? Tout et rien. C’était une duchesse, il le savait ; il savait qu’elle était belle, qu’elle était riche, qu’elle avait des livrées, des laquais, des pages, et des coureurs à flambeaux autour de son carrosse à couronne. Il savait qu’elle était amoureuse de lui, ou du moins qu’elle le lui disait. Le reste, il l’ignorait. Il savait son titre, et ne savait pas son nom. Il savait sa pensée, et ne savait pas sa vie. Était-elle mariée, veuve, fille ? était-elle libre ? était-