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À M. Vargollier.

Rome, 25 mars 1835.

Mon cher Varcollier, vous savez sûrement comment je suis arrivé à Rome et comment j’y suis ; il est donc inutile de vous en entretenir. J’ai plus hâte de vous dire que dans le grand nombre d’excellents amis que j’ai laissés, vous êtes de ceux que je regrette sensiblement. Je supporte difficilement ma transplantation, même à Rome. Encore qu’on ne se vît pas tous les jours, qu’on se vît même trop rarement, cette bonne et sincère amitié, liée à tant de sympathies d’art et de sensations harmonieuses, faisait que l’on se retrouvait toujours avec un plaisir dont je suis totalement privé ici, ce qui me donne peu de stimulant, pour y faire quelque chose d’artiste véritable, et je crois l’être. Si je ne me trompe, je suis devenu administrateur de la maison. Cependant je referais encore ce que j’ai fait, tant mon ressentiment est grand et profond ; et lorsque je veux m’étourdir sur mes chères pertes, je pense aux chagrins vrais ou imaginaires que j’ai soufferts, dans les dix ans que j’ai passés à Paris et qu’un peu de gloire et tant d’amitiés n’ont pu me faire supporter. Enfin, ici, j’ouvre une croisée ou je vais au Vatican.

Une chose me manque pourtant : je suis sans musique, par le manque de ma grande caisse dont je suis privé encore. Heureusement, la Providence est grande. Elle a eu pitié de moi en prolongeant le séjour à Rome d’un pensionnaire musicien compositeur, nommé Thomas : jeune homme excellent, du plus beau talent sur le piano, et qui a dans son cœur et dans sa tête tout ce que Mozart, Beethoven, Weber, etc., ont écrit. Il lit la musique, comme notre admirable ami Benoît, et la plupart de nos soirées sont délicieuses. Vous avez tout au Conservatoire : que vous êtes heureux ! Moi, j’en ai de sublimes extraits que je puis, ce qui n’est pas peu, réentendre deux et trois fois si je veux. En