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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/115

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fois, mais à deux et trois reprises différentes, il l’appelle une grâce. La première fois, il dit : « Je vais vous faire connaître, mes frères, la grâce de Dieu qui a été donnée dans les églises de Macédoine » ; un peu plus loin : « De leur propre mouvement, avec beaucoup d’instances nous demandant la grâce et la communication » ; et enfin : « D’achever cette grâce en vous comme il l’a commencée ».
4. En effet, l’aumône est un grand bien, un grand présent de Dieu, et quand nous la pratiquons, elle nous rend semblables à Dieu autant que cela est possible : car c’est elle surtout qui fait l’homme. Aussi le Sage, dans une peinture qu’il a faite de l’homme, a mis ce trait : « C’est une grande chose que l’homme, et c’est une chose de prix qu’un homme miséricordieux [1] ». (Prov. 20,6) L’aumône est une grâce plus grande que de ressusciter des morts. En effet, quelque chose de bien plus excellent que de rappeler, au nom de Jésus, les morts à la vie, c’est de nourrir le Christ lorsqu’il a faim ; car c’est vous qui faites alors du bien à Jésus-Christ-, et dans le premier cas, c’est lui qui vous en fait. Or la récompense se gagne à faire le bien, et non pas à le recevoir. Dans le premier cas, je veux dire lorsque vous faites des miracles, c’est vous qui êtes redevable à Dieu ; et quand vous faites l’aumône, c’est Dieu qui est votre débiteur. Or il y a aumône, lorsqu’elle est faite de bon cœur, avec libéralité, lorsqu’on ne croit pas donner, mais recevoir, lorsqu’en la faisant, on se regarde soi-même comme favorisé d’un bienfait, comme y gagnant et non pas comme y perdant, car dans ce dernier cas, cela ne pourrait même s’appeler une grâce. Quand on exerce la miséricorde, on doit être joyeux, et non mécontent. Quelle absurdité n’y aurait-il pas, lorsque vous faites cesser la tristesse d’autrui, à tomber vous-même dans la tristesse ? Vous êtes cause alors que ce n’est plus une aumône. Car si vous êtes triste pour avoir délivré un autre de sa tristesse, vous faites preuve de la dernière cruauté, de la plus grande inhumanité ; il vaudrait mieux ne point, lui ôter sa peine, que la lui ôter ainsi. Mais au bout du compte, qu’est-ce qui vous attriste ? Est-ce de voir diminuer votre or ? Alors, si telle est votre disposition, ne donnez absolument rien ; si vous n’avez pas la confiance que vos richesses se multiplient dans le ciel, ne faites point d’aumône. Mais peut-être, vous voudriez une récompense ici-bas. Et pourquoi ? Laissez donc l’aumône être l’aumône, n’en faites pas un trafic.
Bien des gens sans doute ont reçu une récompense même ici-bas ; mais ce n’est pas avec le privilège de l’emporter un jour sur ceux qui n’auront rien reçu en ce monde quelques-uns d’entre eux au contraire ne l’ont reçue qu’en raison de leur plus grande faiblesse, parce qu’ils n’étaient guère attirés par les biens de l’autre vie. Ils ressemblent à ces gens gloutons ? mal appris et esclaves de leur ventre, qui, invités à un festin splendide, n’attendent pas le moment convenable, mais, comme les petits enfants, compromettent leurs jouissances mêmes en les anticipant, et en se gorgeant d’aliments de qualité inférieure. Ainsi les gens qui, dès ce monde, cherchent et reçoivent leur récompense, diminuent pour eux celle de la vie à venir. Quand vous prêtez de l’argent, vous désirez ne rentrer dans le capital qu’au bout de longtemps, peut-être même ne pas y rentrer du tout, afin d’accroître les intérêts par cet ajournement : et lorsqu’il s’agit d’aumône, vous réclamez votre dédommagement tout de suite, et cela, quand vous ne devez pas rester en ce monde, que vous devez être pour toujours dans l’autre ; quand ce n’est point ici-bas que vous serez jugé, quand c’est là-haut que vous devez rendre vos comptes ? Si l’on vous préparait une demeure où vous ne dussiez pas rester, vous regarderiez cela comme une dépense perdue : eh quoi ! vous voulez vous enrichir en ce monde, d’où il vous faudra partir, peut-être avant ce soir ? Ne savez-vous pas que nous sommes ici à l’étranger, comme des hôtes, comme des voyageurs ? ne savez-vous pas que le sort des étrangers, c’est d’être chassés au moment où ils ne s’y attendent et n’y songent point ? Eh bien ! c’est là notre condition. En conséquence ; tout ce que nous avons amassé ici, nous l’y laissons. Le souverain Maître ne permet pas que nous emportions rien avec nous, soit que nous ayons construit des maisons, soit que nous ayons acheté des terres, ou des esclaves, ou des meubles, ou autres choses semblables, Et non seulement il ne laisse rien emporter, mais il ne vous donne pour cela aucun dédommagement :

  1. N’oublions pas que saint Chrysostome cite toujours les Septante.