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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/154

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d’esclaves, et cette abondance, et cette opulence, et tant de possessions ? Quel coup de vent a tout emporté ? Mais, dira-t-on, même sur le lit où il est étendu, ce riche porte les marques de son luxe, de magnifiques étoffes le recouvrent, pauvres et riches escortent ses funérailles, où se mêlent les bénédictions des peuples. Voilà surtout en quoi consiste la dérision ; quoi qu’il en soit, tout cela c’est la fleur qui passe. Une fois que nous aurons de nouveau franchi le seuil des portes de la ville, après avoir livré le corps aux vers, et que nous serons de retour, je veux vous demander encore où s’en est allée cette grande multitude, ce qu’est devenu ce concert de clameurs, ce tumulte ; et ces torches, qu’en a-t-on fait ? Où sont ces chœurs de femmes ? Est-ce que tout cela n’est qu’un songe ? Et ces cris, où sont-ils ? Et que font-elles maintenant toutes ces bouches vociférant avec un grand bruit, et conseillant la confiance, parce que la mort n’est rien ? Certes, ce n’est pas lorsqu’un homme ne les entend plus, qu’il faut lui dire ces choses ; mais quand il se livrait aux rapines, à la passion d’amasser, c’était alors qu’il fallait, en modifiant un peu les paroles, lui dire : pas de confiance, parce que rien n’échappe à la mort ; réprime ta fureur insensée, éteins ta cupidité. Ce mot, confiance, il faut le dire à celui qui souffre l’injustice.
De telles paroles, en ce moment, pour ce mort, c’est un ménagement plein d’ironie ; il n’a plus de sujet maintenant d’éprouver de la confiance, il n’a plus qu’à craindre, qu’à trembler. Mais s’il est désormais inutile de dire ces choses à ce malheureux sorti du stade de la vie, que ceux qui sont malades comme il l’était, que les riches qui l’accompagnent à sa sépulture, entendent la vérité. Si, jusqu’à ce moment, l’enivrement des richesses les a empêchés de concevoir des pensées sérieuses, qu’à cette heure au moins, quand la vue de ce mort confirme nos paroles, ils reviennent à la sagesse, qu’ils s’instruisent, qu’ils considèrent qu’on viendra bientôt les chercher, eux aussi, pour les conduire au tribunal où se rendent les comptes redoutables, où il leur faudra expier leurs rapines, leur cupidité que rien ne rassasiait. Et à quoi bon ces réflexions pour les pauvres ? me répondra-t-on. C’est un très-grand plaisir pour la foule de voir le châtiaient de celui qui commet l’injustice ; mais, pour nous, ce n’est pas un plaisir : notre plaisir à nous, c’est d’être hors des atteintes du mal. Je vous loue vivement, et je vous félicite de ces dispositions, vous faites bien de ne pas vous réjouir des malheurs d’autrui, de ne regarder comme un bonheur que votre propre sécurité. Eh bien ! cette sécurité, je vous la promets. Quand les hommes nous font du mal, nous nous libérons d’une partie considérable de notre dette, en supportant courageusement ce qui nous arrive. Nous n’éprouvons, à coup sûr, aucun dommage : Dieu nous tient compte de la vexation qui nous est faite, c’est autant de payé sur ce que nous lui devons, et ce n’est pas sa justice qui fait le calcul, mais son amour pour nous. Voilà pourquoi il n’est pas descendu au secours de celui à qui l’on fait du mal. Où est votre preuve ? me dit-on. Les Babyloniens ont fait du mal aux Juifs, Dieu ne s’y est point opposé, et l’on a emmené en servitude les enfants et les femmes. Eh bien ! après cette captivité, qui leur a été comptée comme une expiation de leurs fautes, ce peuple a été consolé. De là ces paroles inspirées par Dieu à Isaïe : « Consolez, consolez mon peuple, ô prêtres ; parlez au cœur de Jérusalem, elle a reçu de la main du Seigneur des peines doubles de ses péchés » (Is. 40,1-2) ; et encore : « Donnez-nous la paix, car vous nous avez tout rendu ». (Id. 26,12) Et David dit : « Voyez mes ennemis qui se sont multipliés, et remettez-moi tous mes péchés ». (Ps. 24,19, 18) Et quand Seméï l’outrageait, David résigné disait : « Laissez-le faire, afin que le Seigneur voie mon humiliation, et me donne la rémunération en échange de ce jour ». (2Sa. 16,11, 12) Car lorsque Dieu ne venge pas les injures qu’on nous fait, c’est alors que nous faisons le plus de profits ; il nous compte pour vertu notre résignation qui le bénit.
6. Donc, lorsque vous voyez un riche ravissant le bien d’un pauvre, ne vous occupez pas de celui à qui l’on fait du tort, pleurez sur le ravisseur. Le pauvre se purifie de ses souillures, le riche se souille. C’est ce qui arriva au serviteur d’Élisée avec Naaman. (2R. 5) Car si ce serviteur ne ravit point, il consentit à recevoir frauduleusement ; en cela consistait sa faute. Qu’y a-t-il gagné ? une faute de plus, et avec cette faute, la lèpre ; celui à qui on faisait du tort, y trouvait son profit ; et celui qui faisait du tort, éprouvait les plus grands maux. C’est aujourd’hui l’histoire de l’âme ;