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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/16

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d’une telle joie, l’homme est inaccessible au découragement. Mais qu’il tombe aisément, s’il ne sait point la préférer à tout le reste ! C’est un soldat mai armé, et que renverse du premier coup son adversaire. S’il avait d’autres armes, il repousserait tous les traits dirigés contre lui. Y a-t-il une arme plus forte que cette divine allégresse ? Non, l’homme qui la ressent, ne peut se laisser vaincre ; il supporte courageusement toutes les attaques de ses ennemis. Y a-t-il un supplice plus horrible que le feu ? Y a-t-il rien de plus cruel que de continuelles tortures ? On endurerait plus facilement la perte de ses biens, la mort de ses enfants. « Peau pour peau », dit l’Écriture, « et tout ce que possède un homme, il le donnerait pour racheter sa vie ». (Job. 11,4) Non, il n’est rien de plus affreux que les tourments du corps ; et cependant ces supplices dont le nom seul fait horreur, deviennent, grâce à cette joie divine, faciles à supporter et vraiment dignes d’envie. Retirez du bûcher, ou du gril le martyr qui conserve encore un reste de vie, vous trouverez son âme toute remplie d’une ineffable allégresse.
A quoi bon ces réflexions ? direz-vous, nous ne sommes plus au temps du martyre. Que dites-vous ? Nous ne sommes plus au temps du martyre !… Mais n’est-ce pas sans cesse le temps du martyre, n’est-il pas sans cesse devant nous, si nous savons être sages ? Pour être martyr, il n’est point nécessaire d’être mis en croix ; si cela était nécessaire, Job aurait-il obtenu de si nombreuses couronnes ? Fut-il traîné devant les tribunaux ? Entendit-il la voix des juges, vit-il les bourreaux, fut-il pendu à un gibet ? Et cependant il souffrit plus cruellement que bien des martyrs ; ces messagers qui se succédaient sans interruption lui faisaient de plus profondes blessures que les instruments de supplice les plus horribles. – C’étaient autant de traits qui s’enfonçaient dans son âme ; et ces vers qui le rongeaient de toutes parts le faisaient souffrir plus que n’eussent fait les bourreaux eux-mêmes.
5. N’est-ce pas là un véritable martyre, ou plutôt n’est-ce pas endurer mille fois le martyre ? Il soutint en effet mille combats divers, qui lui valurent autant de couronnes. Il perdit ses biens, il perdit ses enfants, il souffrit dans son corps ; amis, ennemis, épouse, tous s’acharnèrent contre lui ; ses serviteurs même lui crachèrent au visage. Joignez-y la faim, les rêves, la puanteur. N’ai-je pas eu raison de dire que Job avait souffert le martyre, non une fois ou deux, mais plutôt mille fois. Ce qui multiplie encore ses triomphes, c’est le temps que durèrent ses souffrances, et l’époque où il souffrit. C’était avant la promulgation de la loi, avant l’avènement de Jésus-Christ ; elles durèrent plusieurs mois, elles furent excessives et vinrent fondre sur lui toutes ensemble. Chacune semblait intolérable, même la perte de ses biens, qui cependant paraît plus facile à supporter que les autres malheurs. Combien n’en voit-on pas en effet qui se résignent aux blessures, et qui ne peuvent supporter la perte de leur fortune ? Pour en sauver une partie, ils consentent à être battus de verges et à souffrir les plus horribles traitements : rien ne leur semble plus pénible que de perdre ce qu’ils ont. C’est donc une sorte de martyre que de supporter généreusement la perte de ses richesses.
Et comment, direz-vous ; comment avoir cette généreuse résignation ? – Sachez qu’un seul mot d’action de grâces nous profite plu ; que ne peut vous nuire la perte de tous vos biens. Quand nous apprenons ce malheur sans nous troubler, et que nous nous écrions : Dieu soit béni, nous retrouvons des trésors ; bien autrement précieux. Il y a moins d’avantage pour vous à verser toutes vos richesses ; dans le sein des pauvres, à les visiter, à le ; rechercher, qu’à dire cette unique parole. Oui, j’admire moins Job tenant sa maison ouverte aux indigents, que je ne l’admire, que je ne l’exalte en l’entendant rendre grâce ! après la perte de ses biens. Il agit encore de la sorte en apprenant la mort de ses enfants. Vous recevrez la même récompensa qu’Abraham, qui emmène son fils sur la montagne pour l’immoler, si, témoin de la mort de votre enfant, vous bénissez la bond du Seigneur. Auriez-vous en effet moins de mérite que le patriarche ? Lui, il ne vit point son fils étendu sans vie à ses pieds ; il ne fit que trembler pour les jours d’Isaac. Il s’apprêtait à le sacrifier, et en cela il l’emporte sui vous ; il tenait le glaive levé contre lui, en cela encore il vous est supérieur ; mais votre fils est mort, et en cela vous l’emportez ci votre tour sur Abraham.
Ne trouvait-il pas d’ailleurs une bien grande