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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/160

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David aussi, quand il parlait de son ours ou de son lion (1Sa. 17,34), ne le faisait pas pour s’exalter, il se préparait à une couvre d’une admirable énergie. Comme on ne voulait pas croire qu’il triompherait du barbare, lui, nu, incapable de porter de lourdes armes, il était bien forcé de fournir des preuves de son courage viril. Et lorsqu’il coupa le bord du manteau de Saül (1Sa. 24,5), ce n’était pas pour se glorifier qu’il dit les paroles qu’il fit entendre, mais pour détourner les affreux soupçons répandus contre lui, qu’il voulait tuer le roi. Donc il faut toujours considérer l’intention des paroles. Celui qui ne se propose que l’intérêt de ceux qui l’écoutent, même quand il se loue, ne doit pas être accusé ; au contraire, il mérite une couronne ; ce serait, s’il gardait le silence, qu’il mériterait d’être accusé. Si David eût gardé le silence en face de Goliath, on ne lui aurait pas permis de se mesurer avec lui, et il n’aurait pas remporté ce glorieux trophée. David, on n’en peut douter, ne parle que parce qu’il y est forcé, et ce n’est pas à ses frères, mais au roi ; ses frères ne l’auraient pas voulu croire ; la jalousie leur fermait les oreilles. Voilà pourquoi, sans songer à ses frères, il ne s’adresse qu’au roi, que l’envie ne travaillait pas encore.
4. Affreux mal que l’envie, mal affreux, et qui va jusqu’à nous persuader de mépriser notre propre salut. C’est ainsi que Caïn s’est perdu lui-même, et avant lui, celui qui avait perdu son père, le démon. C’est ainsi que Saül appela sur lui-même le malin esprit pour la perte de son âme, et après l’avoir appelé, il répondit par de l’envie aux soins de celui qui voulait le guérir. (1Sa. 18) Telle est, en effet, la nature de l’envie ; Saül voyait bien que David le sauvait, et il aimait mieux périr que de voir la gloire de son sauveur. Quoi de plus affreux que cette passion ? On peut dire ; sans craindre de se tromper, que c’est un enfant du démon, qu’on y trouve le fruit de la vaine gloire, ou plutôt la racine ; car ces deux fléaux s’engendrent l’un l’autre. C’est ainsi que Saül ne se possédait plus, dans son âme envieuse, quand le peuple disait : « David en a tué dix mille ». (1Sa. 18,7) Quoi de plus insensé ? Car enfin, répondez-moi, d’où vous vient votre envie ? De ce que quelqu’un reçoit des louanges ? Vous devriez vous réjouir. Mais peut-être ne savez-vous pas si la louange est méritée ? Votre tristesse vient-elle de ce qu’on loue un homme qui n’a rien d’éclatant ? Mais alors vous devriez plutôt avoir compassion de cet homme. En effet, si c’est un homme de bien, personne ne doit ressentir de l’envie, au bruit des louanges qu’on lui donne ; il faut joindre sa voix au concert des bénédictions ; si au contraire ce n’est pas un homme de bien, pourquoi le chagrin qui vous ronge ? pourquoi vous frapper vous-même du glaive ? Parce que cet homme est admiré ? Oui, admiré des hommes d’aujourd’hui, qui demain n’existeront plus. Parce qu’il jouit de la gloire ? De quelle gloire, dites-moi ? de celle dont le Prophète dit que c’est la fleur des champs ? (Is. 40,6) Voilà ce qui excite votre envie, vous voudriez porter ce fardeau, ces fleurs misérables ; vous voudriez en charger vos épaules ? Si cet homme excite tant votre envie, que ne portez-vous envie également aux hommes de peine, que vous voyez tous les jours, sous leur charge de foin, entrer dans la ville ? La charge de cet homme n’a rien de supérieur ; au contraire, elle a moins de prix encore. L’une ne pèse que sur le corps, l’autre, souvent est un poids funeste pour l’âme et elle lui cause plus d’anxiété que de plaisir.
Quelqu’un est éloquent, il en retirera moins d’admiration que d’envie ; et puis la louange se lasse vite, mais l’envie ne pardonne pas. Mais cet homme est auprès des princes, en grand-honneur ? Eh bien ! de là l’envie qu’il excite, et ses dangers. Ce que vous ressentez contre lui, d’autres l’éprouvent également et ils sont en grand nombre. Mais on ne cesse pas de le célébrer ? De là, pour cet homme, une servitude pleine d’amertume. Voilà en effet qu’il n’ose plus agir librement, de peur d’offenser ceux qui le glorifient : c’est une lourde chaîne pour lui, que son illustration. Plus cet homme a de gens qui célèbrent son nom, plus il a de maîtres, plus sa servitude s’étend, il voit ses maîtres et seigneurs apparaître partout à ses yeux. Le serviteur, une fois affranchi de la présence de celui qui lui commande, respire en pleine liberté ; cet homme, au contraire, rencontre partout ceux qui lui commandent, car il est l’esclave de tous ceux que ses yeux rencontrent sur la place publique. Qu’une affaire urgente le force à sortir, il n’ose pas se risquer sur la place, sans une escorte de serviteurs, sans chevaux, sans pompe, sans étalage, de peur que ceux aux ordres de qui il est ne le désapprouvent. S’il lui arrive