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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/176

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aimer. La loi d’amour souvent a touché même des brigands, des assassins, des violateurs de sépulture ; pour avoir seulement mangé le sel ensemble, ils ont changé de mœurs, la table les a convertis ; et vous qui n’avez pas seulement même table, mais mêmes conversations, mêmes occupations, mêmes entrées, mêmes sorties avec d’autres hommes, vous ne les aimez pas ? Ceux qui se livrent à de coupables amours, dépensent leurs fortunes entières pour des femmes perdues, et vous qui avez au cœur un amour honnête, vous êtes froid, vous êtes lâche, vous êtes dépourvu de cœur au point de ne pouvoir aimer même quand il ne vous en coûte rien ? Mais qui donc, dira-t-on, peut être assez malheureux, assez semblable aux bêtes sauvages pour se détourner de celui qui l’aime, et pour le haïr ? Vous avez raison de regarder comme incroyable unetelle dépravation ; mais si je vous montre une foule de dépravés de ce genre, comment pourrons-nous supporter cette honte ? Tenir des discours méchants sur celui qu’on aime, entendre les discours méchants d’un autre sur lui, et ne pas le défendre, le voir honoré et lui porter une haine jalouse, que faut-il penser d’un tel amour ? Certes ce serait pourtant une bien faible preuve d’amitié que de ne pas être jaloux, de ne pas haïr, de ne pas susciter de combats contre celui qu’on aime ; il faudrait encore applaudir à sa prospérité, travailler à l’accroître ; mais quand toutes vos actions, toutes vos paroles tendent à sa ruine, quelle âme pourrait être plus misérable que la vôtre ?
Hier, avant-hier, vous étiez son ami, vous partagiez ses entretiens et sa table ; puis, tout à coup, à la vue de la prospérité de celui qui est votre membre, jetant le masque de l’amitié, vous ne respirez plus que la haine, ou plutôt une fureur insensée. Cette fureur insensée se manifeste par le chagrin que vous cause la prospérité du prochain ; cette démente est le propre des furieux, des chiens possédés de la rage. Semblables à ces animaux, les envieux qu’irrite l’aiguillon sinistre, se jettent aussi sur tous. Mieux vaut un serpent replié dans les entrailles que l’envie qui rampe dans l’âme. Le reptile, souvent il suffit d’un remède pour le vomir ; la nourriture en adoucit l’effet ; ce n’est pas dans les entrailles que l’envie se replie, elle se roule au sein de l’âme, il est difficile de l’en faire sortir. Le reptile, dans l’intérieur du corps, n’en attaque pas les organes, si on lui donne sa nourriture ; mais l’envie, quelque abondante que pussent être les aliments que vous lui serviriez, s’en prend à l’âme même, qu’elle mord de toutes parts, qu’elle ronge, qu’elle déchire ; et rien ne saurait l’adoucir, rien ne saurait mettre un terme à sa fureur, rien qu’une chose, une seule : le malheur fondant sur celui qui prospérait ; voilà le seul remède qui la puisse guérir, ou plutôt ce remède ne fait rien. Car si tel subit l’adversité, elle en voit un autre qui est heureux, et les mêmes tortures la reprennent, et partout elle reçoit des blessures, et partout elle se sent frappée de nouveaux coups. Car il est impossible de se retourner sur la terre sans y voir des heureux. Et tel est l’excès de ce mal, que, même renfermé dans sa maison, l’envieux éprouve de la haine pour les hommes d’autrefois qui ont cessé de vivre. Or, que ceux qui vivent dans la société, au milieu de la foule, souffrent de cette maladie, c’est triste, mais ce n’est pas ce qu’il y a de plus affligeant ;-mais que ceux mêmes qui sont affranchis de tous les troubles de la vie publique, soient possédés du même mal, voilà ce qui est affreux, au-delà de tout ce qui se pourrait penser. Je voudrais garder le silence sur ce que j’ai à dire ; mais il faudrait que mon silence suffît pour effacer la honte de la réalité ; il y aurait alors de l’utilité dans le silence ; mais quand je pourrais me taire, les choses crieraient plus haut que ma langue, et mes paroles ne sauraient produire autant de mal que la notoriété de nos malheurs qui s’étalent à tous les yeux, et mon discours, sans danger, ne sera peut-être pas sans profit et sans utilité. Ce mal s’est attaqué à l’Église, et voilà ce qui a tout bouleversé, ce qui a détruit l’harmonie des membres ; voilà pourquoi nous nous élevons les uns contre les autres ; l’envie nous donne nos armes. De là l’excès de la dépravation. Lorsque tous conspirent à édifier, il faudrait encore s’estimer heureux que tous les fidèles demeurassent ; si, au contraire, nous conspirons tous à détruire, à quel terme aboutirons-nous ?
4. Que fais-tu, ô homme ? Tu penses qu’il t’est avantageux de ruiner ton prochain, et tu commences parte ruiner toi-même. Tu ne vois pas les jardiniers, les agriculteurs conspirant tous à un seul et même but ? L’un creuse, l’autre sème, un autre recouvre la racine, un autre arrose ce qui a été planté, un autre élève