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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/181

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que la vertu, rien de plus impur que le péché ; car la vertu est plus éclatante que le soleil ; le péché est plus infect que la fange. C’est ce que peuvent prouver, par leur propre témoignage, ceux qui se roulent dans le bourbier, qui passent leur vie dans les ténèbres ; il suffit qu’on leur fasse ouvrir un moment les yeux. Tant qu’ils restent abandonnés à eux-mêmes, enivrés de leurs passions, ils continuent, comme dans l’obscurité, à croupir dans l’opprobre, dans l’ignominie ; ils ne sentent pas leur état, ils ne s’en rendent pas un compte exact ; mais s’ils se voient convaincus d’infamie par un homme vertueux, ne feraient-ils que l’apercevoir, c’est alors qu’ils reconnaissent combien leur état est misérable ; c’est comme un rayon qui tombe sur eux ; ils veulent alors cacher leur honte ; ils rougissent devant, ceux qui connaissent leur conduite, quand le témoin serait un esclave, et le coupable un homme libre ; quand le premier serait un sujet, et l’autre un souverain.
C’est ainsi que l’aspect seul d’Élie couvrait Achab de confusion, avant même que le prophète eût parlé, rien que sa vue saisissait le roi ; l’accusateur gardait le silence, et le roi prononçait lui-même la sentence de sa propre condamnation ; ses paroles étaient celles du coupable convaincu : « Vous m’avez trouvé ; vous, mon ennemi ». (1R. 21,20) Voilà comment Élie parlait à ce tyran avec une pleine liberté. Voilà comment Hérode, incapable de supporter la honte et les remords, (tel était l’éclat que donnait à son crime le cri retentissant de la : voix du prophète), fit jeter Jean en prison ; ce roi ressemblait à un homme qui se trouve en état de nudité, qui veut éteindre un flambeau, pour rentrer dans les ténèbres. Ou plutôt il n’osa pas l’éteindre lui-même, mais il le plaça comme sous un boisseau, dans l’intérieur de sa maison ; cette malheureuse et misérable femme le força enfin à l’éteindre. Eh bien, ils ne purent pas même par ce moyen faire disparaître leur crime ; ils le rendirent encore plus éclatant. Ceux qui demandaient pourquoi Jean était en prison, en apprenaient la cause, elle fut connue ensuite de tous ceux qui habitaient la terre et la mer, de tous sans exception, des hommes d’alors, des hommes d’aujourd’hui ; et ceux qui doivent naître apprendront à leur tour ce drame de forfaits, d’impuretés, d’infamie, joué par ces deux grands pécheurs, et il n’est pas de siècle qui puisse jamais en abolir la mémoire.
3. Le pouvoir de la vertu est si grand, si impérissable est le souvenir que la vertu laisse après elle, qu’elle n’a qu’à parler pour confondre ses contradicteurs. Pourquoi ce tyran jette-t-il en prison le prophète ? Pourquoi ne se contente-t-il pas de le mépriser ? Est-ce que Jean allait le traîner devant un tribunal ? Est-ce qu’il parlait de le punir de son adultère ? Est-ce que l’action de Jean ne se réduisait pas à des paroles ? Que craint-il donc et qu’a-t-il à trembler ? Quoi de plus, ici, que des paroles, que des discours ? C’est que ces paroles frappaient plus durement qu’un châtiment réel. Il ne le conduisait pas devant un tribunal, il le traînait devant sa conscience, il lui donnait pour juges toutes les consciences libres. Voilà pourquoi tremblait ce tyran, incapable de supporter la lumière de la vertu. Comprenez-vous la grandeur de la sagesse et de la vertu ? C’est elle qui fait qu’un prisonnier resplendit de plus de gloire qu’un tyran, et que ce tyran a peur et qu’il tremble. Celui-ci toutefois se contenta de le charger, de fers, mais cette femme criminelle provoqua le tyran à un meurtre. Cependant c’était lui plus qu’elle, qui était accusé. En effet, le prophète n’avait pas été trouver cette femme pour lui dire : Que faites-vous ? vous cohabitez avec le tyran ? Ce n’est pas qu’elle ne pût être accusée ; qui en doute ? mais c’est par lui que le prophète voulait que le scandale cessât : Voilà pourquoi c’est lui qu’il réprimande, et sa parole ne gronde pas d’une manière terrible. Il ne lui dit pas : O scélérat, ô le plus scélérat de tous les hommes, violateur des lois, impie, tu as foulé sous tes pieds la loi de Dieu, tu as tourné ses commandements en dérision, tu n’as reconnu pour loi que ta brutalité. Il ne lui dit rien de pareil ; dans ses reproches respire une modération, une douceur parfaite : « Il ne vous est pas permis d’avoir la femme de Philippe, votre frère ». (Mc. 6,18) C’était plutôt le ton de l’enseignement que de l’accusation, c’était plutôt une leçon qu’un châtiment, une réprimande qu’une poursuite, un avertissement qu’une attaque. Mais, je l’ai déjà dit, le voleur déteste la lumière, et les pécheurs détestent l’homme juste, rien que son aspect : « Il nous importune », dit l’Écriture, « rien que quand il paraît ». (Sag. 2,14)
En effet, ils n’en peuvent supporter les