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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/248

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la faute en est à nous qui ne prêtons pas à celui qui peut nous le donner ; car tous ceux qui lui prêtent, si peu que ce soit, le reçoivent. Dites-moi un peu, qu’est-ce que Pierre avait donné de si grand ? N’était-ce pas seulement un filet brisé, une ligne, un hameçon ? Et pourtant Dieu lui a ouvert les maisons du monde entier, lui a aplani la terre et la mer, en sorte que tous l’appelaient chez eux ; bien plus, on vendait tout ce qu’on avait et on en déposait le prix, non pas en ses mains (on ne l’eût osé) mais à ses pieds : tant on avait de générosité et de respect pour lui ! Mais c’était Pierre, direz-vous. Qu’importe, ô homme ? Ce n’est pas seulement à Pierre que le Christ a fait ces promesses ; il n’a pas dit : Toi seul, Pierre, recevras le centuple, mais : « Quiconque aura quitté sa maison ou ses frères, recevra le centuple ». Car il n’y a point chez lui d’acception de personne, mais différence de mérites.
Mais, direz-vous, j’ai une multitude d’enfants, et je désire les laisser riches. Pourquoi donc les appauvrissez-vous ? En leur laissant tout, vous confiez votre fortune à une garde peu sûre ; mais si vous leur donnez Dieu pour cohéritier et pour tuteur, vous leur laissez d’immenses trésors. De même que quand nous nous vengeons, Dieu ne prend pas notre causé en main, tandis que si nous nous abandonnons à lui, notre attente est dépassée ; ainsi, en fait de richesses, si nous nous livrons à l’inquiétude, sa Providence se retire de nous ; et si nous nous abandonnons à lui sans réserve, il mettra en parfaite sécurité et nos biens et nos enfants. Et qu’est-ce que cette conduite a d’étonnant en Dieu, quand nous la voyons même chez les hommes ? Si, à l’heure de la mort, vous ne donnez aucun de vos proches pour tuteur à vos enfants, celui qui serait le mieux disposé à demander cette charge en est retenu par la crainte et par la honte ; mais si vous vous déchargez sur lui de ce souci, il s’estimera très-honoré et répondra dignement à votre confiance.
9. Si donc vous voulez laisser de grandes richesses à vos enfants, laissez-leur la Providence de Dieu. Lui qui a créé votre âme, qui a formé votre corps, qui vous a donné la vie sans vous, quand il vous verra déployer une si grande libéralité, et lui confier vos biens et vos enfants, pourrait-il ne pas leur ouvrir tous ses trésors ? Si Élie, pour avoir été nourri d’un peu de farine, et voyant qu’une femme le préférait à ses enfants, fit voir des aires et des pressoirs dans la chaumière d’une veuve, songez quelle sera pour vous la générosité du maître d’Élie ! Ne nous inquiétons pas de laisser nos enfants riches, mais vertueux. Car s’ils mettent leur confiance dans les richesses, ils négligeront tout le reste, ne s’étudiant qu’à cacher des mœurs corrompues à l’abri de l’opulence ; mais s’ils se voient privés de cette consolation, ils mettront tous leurs soins à demander à la vertu une compensation à la pauvreté. Ne' leur laissez donc pas la richesse, afin de leur laisser la vertu. Car ce serait le comble de la déraison de ne rien laisser à leur disposition pendant notre vie, et de procurer à leur jeunesse après notre mort les moyens de vivre dans la licence. Du moins, pendant que nous vivons, nous pouvons leur faire rendre des comptes, réprimer leurs excès, et leur mettre le frein ; mais si, après notre mort, avec l’abandon où nous les laissons, et malgré leur jeunesse, nous leur fournissons les ressources de la richesse, nous poussons ces infortunés sur la voie de nombreux précipices ; nous jetons le feu sur le feu, nous versons l’huile dans une fournaise embrasée.
Donc, si vous voulez leur laisser une fortune assurée, faites que Dieu soit leur débiteur et confiez-lui leurs créances. Si ce sont eux qui touchent votre argent, ils ne sauront à qui le donner, ils tomberont souvent entre les mains des calomniateurs et des ingrats ; mais si par précaution vous le prêtez à Dieu, le trésor demeurera en sûreté et le remboursement se fera sans aucune difficulté. Car Dieu nous est reconnaissant, même quand il nous paye sa dette ; il voit de meilleur œil ceux qui lui prêtent que ceux qui ne lui prêtent pas, et plus il doit, plus il aime. Si donc vous voulez l’avoir toujours pour ami, prêtez-lui beaucoup. Un prêteur à moins dé plaisir à avoir des débiteurs, que le Christ n’en a à avoir des créanciers ; il fuit ceux à qui il ne doit rien et court à ceux à qui il doit. Faisons donc tout au monde pour le constituer notre débiteur voici le moment favorable pour lui prêter, puisqu’il est dans le besoin. Si vous ne lui donnez pas maintenant, il n’aura pas besoin de vous après cette vie. C’est ici qu’il a soif, c’est ici qu’il a faim : il a soif de votre salut ; c’est pour cela qu’il mendie, qu’il est nu et