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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/290

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bien nourris qu’ils puissent être, sont plus malheureux que les mendiants qui errent dans les carrefours, mais qui n’ont rien à se reprocher : car l’attente du mal empêche de goûter le plaisir du moment.
Et à quoi bon parler de prisonniers ? Les ouvriers qui gagnent péniblement leur subsistance quotidienne, sont beaucoup plus heureux que ceux qui vivent libres et au sein de la richesse, mais avec une mauvaise conscience chargée. Voilà pourquoi nous regardons comme les plus malheureux des hommes, les gladiateurs que nous voyons dans les cabarets livrés aux vapeurs de l’ivresse et aux plaisirs de la table, parce que l’attente de la mort produit sine sensation beaucoup plus vive que celle de ces plaisirs. Que si cette vie-là leur paraît douce, souvenez-vous de ce que je vous répète si souvent : il n’y a rien d’étonnant à ce que celui qui vit dans le vice n’en fuie pas l’amertume et la douleur. En effet, une situation détestable peut paraître aimable à ceux qui s’y trouvent ; mais c’est précisément pour cela que, loin de les appeler heureux, nous les appelons malheureux ; parce qu’ils ne comprennent pas même leur malheur. Que direz-vous des adultères qui, pour un modique plaisir, se soumettent à un honteux esclavage, à des dépenses d’argent, à des craintes, continuelles, à une vie aussi misérable ; plus misérable même que celle de Caïn ; redoutant le présent, et s’épouvantant de l’avenir, se défiant de leurs amis et de leurs ennemis, de ceux, qui savent et de ceux qui ne savent pas ? Mène dans leur sommeil, ils ne peuvent se débarrasser de leurs angoisses ; leur conscience coupable leur forge des songes terribles, et les remplit de frayeur. Il n’en est pas ainsi, de l’homme chaste ; il passe la vie présente dans la tranquillité et la liberté. Comparez maintenant à une volupté passagère cette mer de terreurs, aux courts sacrifices de la continence cette paix perpétuelle, et vous verrez que cette dernière condition est plus douce que l’autre.
Et celui qui veut voler, qui veut s’emparer de l’argent d’autrui, ne supporte-t-il pas, dites-moi, des peines sans, nombre ; rôdant çà et là, flattant les esclaves, les hommes libres, les portiers ; craignant, menaçant, usant d’insolence, se privant de sommeil, tremblant, en proie à l’inquiétude, se défiant de tout ? Il n’en est pas de même de celui qui méprise les richesses ; il nage au sein de la joie, il passe ses jours dans la confiance et la sécurité. En parcourant ainsi toute l’échelle des vices, vous rencontrerez partout de grands troubles, beaucoup d’écueils. Mais l’essentiel est que, si dans la vertu tout est d’abord pénible, le charme vient ensuite, de manière à alléger la peine ; tandis que dans le vice c’est tout le contraire : après le plaisir, viennent les douleurs et les châtiments, en sorte que le plaisir lui-même disparaît. Car, de même que celui qui attend la couronne, ne sent plus les peines présentes ; ainsi celui qui attend les supplices après le plaisir, ne saurait goûter une joie pure, parce que la crainte trouble tout. Bien plus, à y regarder de près, on verrait que dans le vice, en dehors même du châtiment redouté, la tentative seule renferme déjà sa douleur.
8. Examinons encore, si vous le voulez, ce qu’il en est des voleurs ou de ceux qui s’enrichissent de toutes manières ; laissons de côté les craintes, les périls, la terreur, l’angoisse, le souci et autres choses semblables ; supposons qu’un homme est riche tranquillement, qu’il est assuré de conserver ses biens, ce qui est impossible, mais, supposons-le : quelle joie cet homme goûtera-t-il ? Celle de posséder beaucoup ? Mais il n’y a pas là de quoi le rendre heureux : car tant qu’il convoitera davantage, son tourment ne fera qu’augmenter. C’est quand le désir cesse, qu’il procure du plaisir ; en effet, si nous avons soif, c’est en buvant à notre gré que nous, éprouvons de la satisfaction ; mais si notre soif persiste, quand nous épuiserions toutes les sources, quand nous boirions tous les fleuves, notre malaise n’en serait que plus grand. De même, possédassiez-vous le monde entier, si vous convoitez encore, plus vous acquerrez, plus vous serez tourmenté. Ne vous imaginez donc pas qu’une grande fortune puisse vous procurer quelque joie ; vous n’en trouverez qu’en renonçant à vous enrichir ; mais si vous continuez à convoiter les richesses, vos tourments n’auront point de fin. Car cette passion est insatiable plus vous avancerez, plus vous verrez le terme se reculer. N’est-ce pas là une chose inexplicable, une folie, le comble de la démence ? Fuyons donc ce premier de tous les vices ; garantissons-nous du moindre contact avec lui, et s’il y en a eu, reculons dès l’abord ; comme l’auteur des Proverbes engage à le faire à l’égard de la courtisane : « Éloignez-vous, point de retard, n’approchez pas de la porte