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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/303

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que le corps meure et soit enseveli, puis qu’il devienne immortel. C’est aussi ce qui a eu lieu dans le baptême : le corps y a d’abord été crucifié et enseveli, puis il est ressuscité. Ainsi en a-t-il été du corps du Seigneur : il a été crucifié, puis enseveli, et il est ressuscité.
9. Faisons-en autant : mortifions sans cesse notre corps dans nos actions. Je ne parle pas ici de sa substance, à Dieu ne plaise ! mais de ses penchants aux actions coupables. Ne rien supporter d’humain en soi, n’être point l’esclave des voluptés ; là, et là seulement est la vie. Du reste celui qui se soumet à leur joug, ne peut même plus vivre, à raison des chagrins, des craintes, des périls, des maux sans nombre qu’elles engendrent. Dans l’attente de la mort ; il meurt de peur, avant de mourir ; dans la prévision de la maladie, des injures, de la pauvreté, de quelque autre malheur inopiné, il dépérit, il se consume. Qu’y a-t-il de plus misérable qu’une telle vie ? Il n’en est pas ainsi de celui qui vit par l’esprit ; il est au-dessus de la crainte, du chagrin, des périls, de toute espèce de revers, non parce qu’il ne les éprouve pas, mais, ce qui est bien mieux, parce qu’il méprise leurs assauts. Mais comment cela peut-il être ? Si l’esprit habite toujours en nous. Car l’apôtre n’entend pas parler d’un passage, rapide, mais d’un séjour perpétuel. Aussi ne dit-il pas : Qui a habité, mais : « Qui habite », pour indiquer une demeure permanente. Ainsi celui qui est mort à cette vie est donc le plus rivant. C’est pourquoi Paul dit : « L’esprit est vie par la justice ».
Pour rendre cela plus sensible, supposons deux hommes, dont l’un est livré aux folles dépenses, aux plaisirs, aux séductions de la vie ; et l’autre y est mort, et voyons quel est celui qui vit le plus. Que de ces deux hommes, l’un très-riche, illustre, nourrissant des parasites et des flatteurs, passe toutes ses journées dans les jeux et la débauche ; que l’autre, en proie à la faim, aux privations, à toutes les nécessités de la vie, soit sage, ne prenne que le soir la nourriture strictement nécessaire, ou même, si vous le voulez, passe deux et trois jours sans manger : lequel des deux nous semble le plus vivre ? Je sais que le plus grand nombre répondront que c’est le premier, celui qui danse et dissipe son bien ; mais nous, nous pensons que c’est celui qui garde les bornes de la modération. Mais puisqu’il y a ici matière à débat et à discussion, entrons chez l’un et l’autre, au moment précis où le riche vous semble surtout vivre, dans l’instant même où il se livre aux plaisirs ; entrons, dis-je, et voyons où ils en sont tous les deux : car c’est par les faits qu’on juge d’un vivant et d’un mort. Nous trouverons donc l’un au milieu des livres, ou vaquant à la prière et au jeûne, ou appliqué à quelque autre œuvre nécessaire, veillant dans la sobriété, et conversant avec Dieu ; et nous verrons l’autre plongé dans l’ivresse, et dans un état semblable à celui d’un mort ; et si nous attendons jusqu’au soir, nous verrons la mort l’envahir encore davantage, jusqu’à ce que le sommeil lui succède ; tandis que le premier passera la nuit dans la sobriété et les veilles. Lequel donc appellerons-nous vivant ; de celui qui est étendu insensible, et objet de dérision pour tout le monde, ou de celui qui est plein de vigueur et s’entretient avec Dieu ?
Si vous vous approchez de l’un et que vous soyez obligé de lui parler, il ne vous répondra pas plus que s’il était mort ; si vous allez trouver l’autre, soit de jour, soit de nuit, vous verrez un ange plutôt qu’un homme, appliqué aux choses du ciel. Voyez-vous donc que l’un est le plus vivant des vivants, et que l’autre est dans un état plus pitoyable que les morts ? Que si on le voit agir, il prend un objet pour un autre, il ressemble aux insensés, il est même plus misérable qu’eux. Si en effet quelqu’un insulte ceux-ci, nous avons tous pitié d’eux et nous blâmons l’auteur de l’outrage ; si au contraire nous voyons quelqu’un injurier celui-là, non seulement nous n’éprouvons aucun sentiment de compassion, mais nous le condamnons pour être en pareil état. Est-ce là vivre, dites-moi ? Cette vie n’est-elle pas pire que, mille morts ? Voyez-vous que non seulement l’homme livré aux plaisirs est mort, mais qu’il est dans un état pire que la mort, qu’il est plus misérable que le possédé du démon ? Car celui-ci excite la pitié, et lui l’aversion ; l’un rencontre l’indulgence, et l’autre est puni de sa maladie. Et s’il est ridicule extérieurement, quand il laisse tomber une bave puante, et exhale une fétide odeur de vin, songez à l’état malheureux de son âme, ensevelie dans son corps comme dans un sépulcre. C’est absolument comme si on commandait à une servante barbare, laide, immonde, d’insulter et d’outrager en toute liberté une jeune fille parée, chaste, libre, de noble