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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/36

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assez puissant pour ressusciter les morts, la fécondité miraculeuse de son épouse ne le lui disait-elle pas assez ? Et même avant cette éclatante manifestation de la puissance divine, sa foi ne le lui apprenait-elle pas ? Ne vous contentez pas d’admirer la justice d’Abraham, imitez-la. Quand vous le voyez voguer sur – ces flots tumultueux, comme sur une mer paisible, saisissez aussi le gouvernail de l’obéissance et du courage. Ne me dites pas qu’il se contenta de dresser un autel et de préparer le bois ; rappelez en votre mémoire les paroles d’Isaac, songez à cette légion de pensées qui envahit son âme et la glace d’épouvante à ces paroles de son fils : « Mon père, où est donc la victime ? » (Gen. 22,7) Que de pensées agitent alors son âme ! ce sont comme amant de javelots enflammés qui la percent et la déchirent. Si j’en vois qui sans être pères sont émus à ce récit, et qui eussent versé des larmes, s’ils n’avaient connu le dénouement, si j’en vois, qui malgré le dénouement fondent en larmes, quel tourment ne dut pas endurer celui qui l’avait engendré, qui l’avait élevé dans sa vieillesse, qui n’avait que lui, qui le voyait, qui l’entendait, qui était sur le point de lui donner la mort ?
Mais ensuite, quelle sagesse et quelle douceur dans sa réponse ! Qui donc inspirait Abraham ? était-ce le démon qui ravivait les ardeurs de la nature ? Non, c’était Dieu qui voulait éprouver l’âme si riche de l’homme juste. Quand l’épouse de Job élevait la voix, c’était le démon qui l’inspirait : les conseils qu’elle donne le font bien voir. Mais Abraham ne prononce pas une seule parole impie ; tout dans son langage respire la piété et la religion. Il y a même je ne sais quelle grâce et quel parfum ; de cette âme calme et paisible le miel coule avec abondance ; et il y a dans ses paroles de quoi toucher le cœur le plus dur. Et cependant le sien résiste ; il n’est pas même ébranlé. Il ne dit pas : Pourquoi appeler du nom de père celui qui tout à l’heure ne sera plus ton père, qui déjà même a perdu ce doux honneur ? – Et pourquoi le fils a-t-il fait cette demande ? Ce n’était pas simplement par curiosité ; mais parce que tout ce qu’il voyait, était de nature à lui donner de l’inquiétude. Voici ce qu’il se disait : « Si mon père n’avait l’intention de me faire participer à son action, il n’aurait point laissé ses serviteurs au pied de la montagne pour m’emmener seul avec lui ».
Et c’est pourquoi il l’interroge, alors qu’ils étaient seuls, et que personne ne pouvait les entendre. Telle était la prudence de cet enfant. Eh bien ! qui que vous soyez, hommes et femmes, ne sentez-vous point, vos âmes tout embrasées ? Ne serrez-vous point dans vos bras, ne couvrez-vous point dé vos baisers cet enfant dont la prudence est si admirable ? n’êtes-vous point émus, à la vue de tant de douceur ? On le lie, on l’étend sur le bûcher : il ne s’effraie point, il ne fart aucun mouvement, il ne reproche pas à son père sa cruauté. Oui, on l’enchaîne, on se saisit de lui, on le place sur le bûcher ; et il souffre tout cela sans rien dire, comme un tendre agneau, ou plutôt, comme le Sauveur, nôtre maître commun, Car il imitait la douceur du Messie dont il était la figure. « Il a été conduit à la mort », dit le prophète, « et il s’est tu comme l’agneau « devant celui qui le tond ». (Is. 53,7) C’est-à-dire, il n’a montré ni arrogance ni dureté dans ses paroles, mais au contraire la plus grande douceur et la plus grande, mansuétude : son silence en eût moins manifesté. Le Christ ne disait-il pas : « Si j’ai mal parlé, témoignez du mal que j’ai dit ; mais sij’ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous ? » (Jn. 18,23) N’y a-t-il pas dans ces paroles plus de douceur que dans le silence même ? Du haut de la croix il parle comme Isaac de l’autel où son père l’a placé : « Mon père », dit-il, « pardonnez-leur : car ils ne savent ce qu’ils font » ; (Lc. 13,31) Et que dit le patriarche ? « Dieu y pourvoira, mon fils, et trouvera bien une victime ». (Gen. 22,8) Tous deux emploient les noms que suggère la nature : l’un, celui de père, l’autre, celui de fils. De part et d’autre je vois une guerre terrible, une affreuse tempête ; mais le navire n’est point brisé : la sagesse triomphe de tout. A peine Isaac a-t-il entendu le nom de Dieu, il se tait, et ne pose plus de questions. Voyez quelle était la prudence de cet enfant, quelle était sa sagesse dans un âge si tendre !
Vous avez vu maintenant toutes les armées dont le roi a su triompher, toutes les victoires qu’il a remportées. Ces peuples barbares qui ne cessaient d’assiéger la ville de Jérusalem, étaient moins terribles que ces pensées qui de toutes parts venaient fondre sur l’âme d’Abraham ; et cependant il les subjugua toutes. Voulez-vous maintenant que je vous montre le prêtre ? je ne serai pas long. Il tient la flamme