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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/387

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ne lui dit pas : Misérable, infâme, après tant de bienfaits reçus, c’est au démon que tu t’es abandonné, tu as quitté ton bienfaiteur pour t’attacher au démon pervers. Que lui dit-il, au contraire ? « D’où avez-vous su que vous étiez nu, sinon de ce que vous avez mangé du fruit de l’arbre dont je vous avais défendu de manger ? » (Gen. 3,11) On dirait un père qui a défendu à son fils de toucher un glaive ; le fils a désobéi, s’est blessé ; le père lui dit : D’où vient que tu es blessé ? Cela vient de ce que tu ne m’as pas écouté. Entendez-vous cette manière de parler, qui marque plutôt l’ami que le Seigneur ? je dis l’ami méprisé, qui pourtant ne cesse pas d’aimer.
Sachons donc l’imiter ; et quand nous adressons des reproches, gardons aussi cette mansuétude. Les reproches qu’il fait à la femme sont empreints de la même douceur. Ou plutôt ce ne sont pas des reproches, c’est un avertissement, c’est une exhortation pour ramener au devoir, ce sont des précautions pour l’avenir. Voilà pourquoi il n’a rien à dire au serpent : c’était lui qui était l’artisan de ces malheurs, et le serpent ne pouvait rejeter la faute sur aucun autre. Aussi le Seigneur lui infligea-t-il un châtiment terrible.. Et il ne s’en tint pas là ; il enveloppa la terre dans la malédiction. S’il chassa l’homme du paradis, et le condamna au travail, c’est pour cette raison surtout qu’il convient d’adorer et d’admirer. Les délices du paradis avaient provoqué le relâchement ; le Seigneur retranche le plaisir, il élève la douleur comme un mur destiné à préserver de l’indolence, afin que l’homme retourne à son amour. Et maintenant comment a-t-il traité Caïn ? Ne lui a-t-il pas montré la même mansuétude ? Outragé par lui, Dieu ne l’outrage pas en retour, mais il l’exhorte, il lui dit : « Pourquoi cet abattement sur votre visage ? » (Gen. 4,6) Son action pourtant n’admettait nulle excuse. Mais ce n’est pas une telle réprimande que Dieu lui adresse ; que lui dit-il ? « Vous avez péché ? Restez-en là, n’ajoutez pas un nouveau crime à celui que vous avez commis : il se tournera vers vous, et vous lui commanderez » ; il lui parle de son frère. Car, dit-il, si vous craignez qu’à cause de son sacrifice qui m’a plu, je ne vous enlève votre droit d’aînesse, rassurez-vous, je vous donne autorité sur lui ; amendez-vous, aimez celui qui ne vous a fait aucun tort ; car je prends un soin égal de vous deux. Mon plus grand plaisir, c’est qu’il n’y ait entre vous aucun dissentiment. Comme une mère qui aime ses enfants, Dieu fait et dispose tout pour prévenir leur division.
5. Mais je veux un exemple pour éclaircir mon discours. Représentez-vous Rebecca, troublée, cherchant de toutes parts un moyen de sauver son plus jeune fils des mauvais desseins de l’aîné. Elle aimait, mais elle n’avait pas d’aversion pour Esaü. D’où vient qu’elle disait : « Que je ne perde pas mes deux fils en un seul jour ». (Gen. 27,45) C’est avec la même affection que Dieu disait alors : « Vous avez péché ? Restez-en là : il se tournera vers vous » (Gen. 4,7) ; le Seigneur voulait ainsi prévenir le fratricide, établir la paix entre les deux frères. Maintenant, même après que Caïn eut commis le meurtre, même alors, Dieu ne cesse pas de le couvrir de sa providence, c’est encore avec douceur qu’il parle à celui qui vient de tuer son frère. « Où est Abel, votre frère ? » Question faite pour amener un aveu. L’autre continue la résistance avec un surcroît d’impudence effrontée. Même alors, Dieu ne s’éloigne pas de lui ; au contraire, les paroles du Seigneur sont celles d’un ami outragé, méprisé. « La voix du sang de votre frère crie vers moi ». Et c’est encore ici, avec l’homicide, la terre qui subit la colère de Dieu, c’est elle qu’il maudit : « Maudite soit la terre qui a ouvert sa bouche pour recevoir le sang de votre frère ». Dieu fait ce que font les hommes qui déplorent des malheurs, ce que faisait David, après la mort de Saül. Il maudissait les montagnes qui avaient bu son sang : « Montagnes de Gelboé, que la rosée et la pluie ne tombent jamais sur vous, parce que c’est là qu’ont été jetés et les boucliers des vaillants ». (2Sa. 1,21) On dirait que Dieu aussi fait entendre un chant funèbre. La voix du sang de votre frère crie vers moi : « Vous serez donc maintenant maudit sur la terre, qui a ouvert sa bouche, pour recevoir le sang de votre frère répandu par votre main ».
Il parlait ainsi pour apaiser les bouillons de sa colère, pour le porter à aimer son frère au moins après sa mort. Tu as éteint sa vie, lui dit-il, et tu n’éteins pas encore ta haine ? Voyez ce que fait Dieu ? Il aimait ces deux frères, parce qu’il les avait créés. Eh quoi ? Laissera-t-il le meurtrier impuni ? Mais ce serait le rendre pire qu’il n’est. Il le punira donc ? Mais