Aller au contenu

Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/456

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’on ne connaît pas ? Ne savez-vous pas que l’affection est fille de l’habitude ? De sorte que la nature n’est ici pour rien. N’accusez point le désir : le désir a été donné pour le mariage, inspiré pour la procréation des enfants, non pour l’adultère, ni pour la séduction. Les lois elles-mêmes pardonnent les fautes que la nécessité a fait commettre : ou plutôt il n’y a pas de fautes commises par nécessité, toutes viennent de la dépravation. Dieu n’a pas organisé la nature de telle sorte que le péché fût nécessaire : autrement, le châtiment n’existerait pas. Car nous-mêmes, nous ne demandons pas compte des actions forcées, à plus forte raison Dieu qui est si bon et si charitable.

Voyons encore : voler, est-ce un fait de nécessité ? Oui, dira-t-on : car c’est la pauvreté qui y conduit. C’est plutôt à travailler que la pauvreté conduit, ce n’est pas à voler. La pauvreté a donc un effet tout contraire : car le vol est un fruit de la paresse : et la pauvreté ne rend point paresseux, mais laborieux… Ainsi donc, voilà encore un péché imputable à la négligence… Écoutez encore : lequel est le plus difficile, dites-moi, le plus désagréable, de passer les nuits à veiller et à courir, de percer des murs, de marcher dans l’obscurité, de tenir sa vie dans ses mains, d’être prêt au meurtre, de trembler, de mourir de peur, ou de s’appliquer durant le jour au travail, et de jouir du calme et de la sécurité ? Voilà ce qui est facile : et parce que c’est facile, un plus grand nombre de gens font ce métier, que l’autre.

4. Voyez-vous que la vertu est selon la nature, et le vice contre nature, tout comme la santé et la maladie ? Mais mentir et se parjurer, cela peut-il être une nécessité ? Aucunement : c’est volontairement et sans y être forcés que nous commettons ces fautes. — On se défie de nous, dira-t-on. — On se défie de nous, parce que nous le voulons bien ; car nous pourrions inspirer plus de confiance par notre caractère, que nous ne faisons par nos serments. En effet, pour quelle raison, dites-moi, ne croyons-nous pas à certaines personnes en dépit de leurs serments, tandis que nous croyons à d’autres sans qu’elles jurent ? Voyez-vous qu’il n’y a nul besoin de serments ? Si un tel parle, je le crois, même sans serments ; vous, vous avez beau jurer, je ne vous crois pas. Donc le serment est chose superflue et plutôt une marque de défiance que de foi. La facilité à jurer fait obstacle à la réputation de piété. Aussi celui qui jure souvent n’a nullement un besoin impérieux de jurer ; et celui qui n’use pas de serment en a tout le profit. Dira-t-on maintenant que le serment est utile pour se faire croire ? Aucunement : car nous voyons que ceux qui ne jurent pas sont justement ceux à qui l’on croit de préférence.

Autre chose : être insolent, est-ce un effet de force majeure ? Oui, dira-t-on, car la colère nous jette hors de nous, nous enflamme, ne permet pas le repos à notre âme… L’insolence, mon cher auditeur, n’est pas un effet de la colère, mais un effet de la petitesse d’âme. Si elle venait de la colère, tous les hommes irrités ne cesseraient pas de se montrer insolents. La colère nous a été donnée, non pour insulter le prochain, mais pour convertir les pécheurs, pour que nous nous réveillions, pour que nous ne tombions pas dans l’indolence. La colère est en nous comme un aiguillon, afin que nous grincions des dents contre le diable, afin que nous soyons violents contre lui, et non pour que nous nous fassions mutuellement la guerre. Nous avons des armes, non pour nous attaquer nous-mêmes, mais pour nous défendre contre l’ennemi. Vous êtes emporté ? Montrez-vous tel contre vos péchés, frappez votre âme, flagellez votre conscience, soyez un juge irrité et impitoyable de vos propres péchés. Voilà l’avantage de la colère, voilà pourquoi Dieu nous l’a donnée.

Et l’usurpation, est-ce un effet de la nécessité ? Nullement : quelle nécessité d’usurper, dites-moi ? Qu’est-ce qui vous y force ? La pauvreté, dira-t-on, et la crainte du besoin. C’est justement une raison pour ne pas usurper ; car une richesse acquise ainsi est mal assurée. — Mais vous ressemblez à un homme à qui l’on demanderait pourquoi il fonde sa maison sur le sable, et qui répondrait : C’est à cause du froid, à cause de la pluie. C’est justement pour cela qu’il ne fallait pas bâtir sur le sable, car la pluie et les vents ont bientôt renversé de pareilles fondations. Si donc vous voulez être riche, respectez le bien d’autrui. Si vous voulez laisser une fortune à vos enfants, faites fortune honnêtement, à supposer que cela soit possible ; voilà la richesse qui dure et subsiste inébranlable ; toute autre est vite perdue et dissipée.

Vous voulez être riche, dites-moi, et vous