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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/467

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Nous sommes morts à ce que nous étions autrefois, je veux dire au vieil homme : ce que nous n’étions pas, nous le sommes devenus. C’est donc une création, et une création plus précieuse que l’autre : car à la première, nous devons de vivre ; à la seconde, de bien vivre : « Pour les bonnes œuvres que Dieu a préparées, afin que nous y marchions ». Non afin que nous commencions, mais afin que nous y marchions : car nous avons besoin d’une vertu constante et soutenue jusqu’à notre fin. S’il nous fallait suivre une route conduisant à une capitale, et si, après avoir fait la plus grande partie du chemin, nous nous arrêtions lassés, au moment de toucher au but, il ne nous servirait de rien de nous être mis en marche : de même l’espérance à laquelle nous sommes appelés resterait inutile à ceux qui la possèdent, si nous ne marchions pas comme l’exige la dignité de celui qui nous a appelés.

Ainsi donc, appelés pour les bonnes œuvres, remplissons notre tâche avec persévérance. Car si nous avons été appelés, ce n’est pas pour en faire une, mais pour les faire toutes. De même qu’il y a en nous cinq sens, et que nous devons les employer tous à propos, nous devons agir de même à l’égard des vertus. Être chaste et sans charité, être charitable et injuste, s’abstenir du bien d’autrui, mais ne pas faire l’aumône avec le sien, tout cela est inutile. Il ne suffit pas d’une seule vertu pour nous faire comparaître avec confiance au tribunal du Christ : il en faut beaucoup et de toute espèce, il nous les faut toutes. Écoutez le Christ disant à ses disciples : « Allez et instruisez toutes les nations ; enseignez-leur à garder tous mes commandements » ; et encore : « Celui qui violera l’un de ces moindres commandements, sera appelé très petit dans le royaume des cieux » (Mat. 28,19 et 5, 19) ; c’est-à-dire, à la résurrection : Car cet homme-là n’entrera pas dans le royaume : l’Évangile appelle souvent royaume le temps même de la résurrection : « Celui qui en violera un sera appelé très-petit »… Nous sommes donc tenus de les observer tous.

Et voyez comment, sans l’aumône, il est impossible d’entrer dans le royaume : Comment, ne nous manquât-il que ce seul titre, nous irons au feu : « Allez-vous-en, maudits », est-il écrit, « au feu éternel préparé pour le diable et ses anges ». Pourquoi, pour quelle raison ? Parce que j’ai eu faim, et que vous ne m’avez pas donné à manger : parce que j’ai eu soif et que vous ne m’avez pas donné à boire (Mat. 25,41) Voyez-vous comment ce seul grief cause leur perte ? Pour cette seule raison les vierges furent chassées de la chambre nuptiale, quoiqu’elles possédassent la chasteté ; mais comme l’appui de l’aumône leur faisait défaut, elles n’entrèrent pas avec l’époux : « Recherchez la paix avec tous, et la sainteté sans laquelle nul ne verra le Seigneur ». (Heb. 12,14) Songez donc que si, sans la chasteté, il est impossible de voir le Seigneur, ce n’est pas à dire qu’avec la chasteté on doive nécessairement le voir : car souvent il y a un autre empêchement. Quand nous ferions toutes les autres bonnes œuvres, si nous n’aidons pas le prochain, nous n’entrerons pas pour cela dans le royaume. Qu’est-ce qui le prouve ? L’exemple des serviteurs auxquels avaient été confiés les talents. Un homme dont la vertu était sans reproche, à qui il ne manquait rien d’ailleurs, fut rejeté justement, parce qu’il avait montré de la mollesse à faire fructifier l’argent.

Pour une simple injure on peut tomber dans l’enfer : Celui qui dit à son frère : « Fou » sera soumis à la géhenne du feu… Eût-on toutes les vertus, si l’on est porté à l’injure, on n’entrera pas dans le royaume. Et qu’on n’aille pas accuser Dieu de cruauté parce qu’il en exclut ceux qui sont tombés dans cette faute : Parmi les hommes mêmes, l’homme qui a commis la plus légère prévarication, enfreint une seule des lois, est banni des regards du monarque. Celui qui a porté une accusation calomnieuse, perd sa charge ; celui qui a été surpris en adultère, devient indigne ; il périt, quelles qu’aient pu être ses bonnes œuvres ; s’il a commis un meurtre et qu’il soit dénoncé, cela suffit pour le perdre. Que si les lois des hommes sont protégées avec tant de sollicitude, à combien plus forte raison celles de Dieu ! Mais il est bon, direz-vous. Jusques à quand proférerons-nous cet absurde propos ? Je dis absurde, non que Dieu ne soit pas bon, mais parce que nous croyons que sa bonté peut nous être en cela utile a quelque chose, malgré tout ce que nous avons pu dire à mille reprises sur ce sujet. Écoutez ces mots de l’Écriture : « Ne dites pas : Son infinie miséricorde pardonnera la multitude de mes péchés ». (Sir. 5,6) Il ne nous est pas défendu de dire : « Sa miséricorde est infinie » : à Dieu ne plaise !