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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/498

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vous y prendre autrement, qu’en la rapprochant de vous ; si vous vouliez qu’un même lien vous unit, il faudrait commencer par vous l’attacher : c’est ainsi qu’il veut que nous soyons unis les uns aux autres ; il ne nous demande pas seulement de vivre en paix, de nous aimer, mais de n’avoir pour tous qu’une seule âme. Noble lien ! servons-nous en pour nous unir et à Dieu et au prochain. Il n’y a point de gêne, de tourment pour les bras qui en sont chargés ; tout au contraire, on se sent alors en repos, au large, et plus content que ceux qui sont en liberté. Le fort, uni au faible, le soutient et empêche sa perte ; uni avec le nonchalant, il le ranime. « Le frère, secouru par son frère, est comme une ville forte ». (Pro. 18,19) Cette chaîne-là, l’éloignement n’y est pas un obstacle, ni le ciel, ni la terre, ni la mort, ni quoi que ce soit ; elle est plus forte que tout, elle triomphe de tous. Enfantée par une âme, elle est capable d’en embrasser mille. Écoutez ce que dit Paul : « Vous n’êtes pas à l’étroit dans notre cœur ». (2Co. 6,12) Élargissez-vous de même.
Maintenant, qu’est-ce qui peut rompre ce lien ? L’amour des richesses, du pouvoir, de la gloire et autres choses pareilles : voilà ce qui le détend et le rompt. Comment donc faire, afin qu’il ne se brise point ? Il faut éloigner ces passions, et écarter tout ce qui peut mettre obstacle à la charité ou l’altérer. N’est-ce pas le Christ qui dit : « Quand l’iniquité se sera multipliée, la charité du grand nombre se refroidira ». (Mat. 24,12) Rien n’est si contraire à la charité que le péché : je ne dis pas seulement à la charité envers Dieu, mais même à celle qui a pour objet le prochain. Comment donc la paix peut-elle régner entre des voleurs, dira-t-on ? Quand ? dites-moi. C’est lorsqu’ils ne font pas leur métier de voleurs. En effet, si dans les partages qu’ils font entre eux, ils cessent d’observer les lois de la justice, et de rendre à chacun ce qui lui appartient, vous retrouvez aussitôt parmi eux la discorde et la guerre. – Il n’y a donc pas de paix possible entre les méchants : au contraire, on la trouve partout où règnent la justice et la vertu : Voyons encore : La paix peut-elle régner entre amants qui sont rivaux ? Nullement. Quel exemple voulez-vous encore ? Entre usurpateurs point de paix possible : s’ils n’étaient pas justes et modérés les uns à l’égard des autres, s’ils se faisaient torts mutuellement, leur race serait anéantie. Voyez deux bêtes féroces que la faim tourmente : s’il n’y a pas d’autre aliment offert à leur avidité, elles se dévorent mutuellement : il en serait de même pour les avares et les méchant… Ainsi donc, pour que la paix règne, il faut que la vertu règne d’abord. Composons une cité, si vous le voulez, exclusivement d’hommes injustes, tous égaux en dignité : qu’il n’y ait point de juge pour punir l’iniquité, et que tous la commettent également : est-ce qu’une ville semblable pourrait subsister ? Aucunement. Et entre adultères, la paix est-elle possible ? Vous n’en trouverez pas deux qui soient unis. La désunion n’a donc pas d’autre cause que le refroidissement de la charité : et la cause du refroidissement de la charité, c’est la multiplication des fautes. Car le péché engendre l’amour-propre ; il divise, il déchire le corps ; il relâche, il brise le lien… La vertu, au contraire, là où elle se trouve, a des effets tout opposés : car l’homme vertueux est invincible, par exemple, à la cupidité. De sorte que mille pauvres peuvent vivre en paix, et que cela est impossible à deux hommes cupides.
4. En conséquence, si nous sommes vertueux, la charité ne périra point : car la charité engendre la vertu ; et la vertu, la charité. Comment cela, je vais le dire. L’homme vertueux ne fait point passer l’argent avant l’amitié ; il n’est point enclin au ressentiment, il ne fait pas tort au prochain : il n’est point insolent, il est courageux dans l’adversité. Tout cela engendre la charité ; et, d’autre part, celui qui aime prend toutes ces qualités. Ainsi ces deux choses se produisent mutuellement. Nous trouvons la preuve que la vertu donne naissance à la charité dans ce que dit l’Écriture : « Quand l’iniquité se sera multipliée, la charité se refroidira ». Et en cet autre passage : « Celui qui aime le prochain a accompli la loi » (Rom. 13,8), nous avons la preuve que la vertu vient de la charité. De sorte qu’il suffit d’être une de ces deux choses : ou très-aimant et aimé, ou très-vertueux. En effet, celui en qui se trouve une de ces choses possède l’autre nécessairement : et, au contraire, celui qui ne sait pas aimer ne fera que le mal : celui qui fait le mal, est incapable d’aimer. Recherchons donc la charité : c’est un rempart qui nous préserve de tout mal ;