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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/50

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Comment osez-vous donc élever la voix contre eux ? Comment pouvez-vous prier Dieu d’enfreindre sa propre loi ? Rien qui convienne moins au rôle de suppliant personne ne supplie pour qu’un autre périsse ; mais on implore son propre salut. Pourquoi donc jouer le rôle de suppliant avec des paroles d’accusateur ? Quand nous prions pour nous-mêmes, nous nous remuons, nous nous agitons, nous nous laissons aller à mille pensées étrangères ; mais quand nous prions contre nos ennemis, nous le faisons avec attention et avec ardeur. Le diable sait bien que nous nous enfonçons alors un glaive dans la poitrine ; et c’est pourquoi il se garde bien de nous distraire, de détourner notre attention ; il veut nous causer ainsi tout le mal possible. – Mais, direz-vous, on m’a fait injure, on m’a blessé. – Eh bien, priez donc contre le démon, qui nous outrage plus que personne ne le fait. On vous prescrit de dire dans votre prière : « Délivrez-nous du malin ». (Mt. 6,93) Voilà votre implacable ennemi mais l’homme, quoi qu’il vous fasse, est votre ami et votre frère. : Aussi lançons-nous tous contre lui, prions Dieu contre lui ; et disons : Brisez Satan sous nos pieds. C’est lui qui nous suscite des ennemis. Si vous priez contre vos ennemis, vous accomplissez le plus ardent de ses vœux ; mais en priant pour vos ennemis, c’est contre lui que vous priez. Pourquoi donc laisser de côté votre véritable ennemi, pour dévorer vos membres, vous montrant ainsi plus cruels que les bêtes féroces ? – Mais, dites-vous, on m’a outragé ; on m’a enlevé mes biens. – Qui donc est le plus à plaindre, de celui qui supporte l’outrage ou d’e celui qui le fait ? S’enrichir à vos dépens, c’est perdre l’amitié de Dieu, et le dommage l’emporte Sur le gain. Agir de la sorte ; c’est se nuire à soi-même. Au lieu de prier contre votre ennemi, priez pour lui, pour que Dieu lui fasse miséricorde.
5. Que de souffrances n’endurèrent pas les trois jeunes Hébreux, sans avoir fait aucun mât. Emmenés loin de leur patrie, privés de toute liberté ; captifs, esclaves sur une terre étrangère, dans un pays barbare, ils étaient menacés de mort, sans motif, sans raison, uniquement à cause d’un songe qu’avait eu le roi. Quand ils furent réunis à Daniel quelle fut leur prière ? Que dirent-ils ? Brisez Nabuchodonosor, arrachez-lui son diadème, précipitez-le de son trône ? – Non, ils ne demandèrent rien de semblable ; au contraire ils imploraient sur lui la divine miséricorde. Dans la fournaise, ils firent de même. Et vous, que faites-vous ? Vous avez moins souffert qu’eux, et la plupart du temps vos souffrances étaient bien méritées, et cependant vous ne cessez de charger vos ennemis d’imprécations. L’un s’écrie : Seigneur, renversez pion ennemi ; comme vous avez précipité dans les flots le char de Pharaon ; l’autre : frappez-le dans sa chair ; un troisième, punissez-le dans ses enfants. Ne reconnaissez-vous point votre langage ?
Pourquoi riez-vous donc ? voyez-vous combien tout cela devient ridicule, dès que la passion est absente ? Retranchez la passion, et vous verrez aussitôt combien le péché renferme de honte. Il suffit dé rappeler à celui qui s’est irrité, les paroles qu’il a proférées dans sa colère pour qu’il ait honte de lui-même, et il aimerait mieux souffrir toutes sortes de maux plutôt que d’avoir prononcé de telles paroles. Mettez un impudique en présence de la femme qu’il a violée ; il s’en détournera avec horreur. Maintenant que vous n’éprouvez point de passion contre vos ennemis, vous riez en entendant les paroles que je viens de prononcer : elles sont en effet ridicules, dianes d’une vieille femme en état d’ivresse qui se prend de querelle avec une autre.
Joseph avait été vendu, réduit en servitude, jeté en prison ; néanmoins il ne lui échappa pas un seul mot d’amertume contre ceux qui l’avaient outragé. Que disait-il ? « J’ai été enlevé furtivement de la terre des Hébreux ». (Gen. 40,15) Il ne dit point par qui. Il rougit du crime de ses frères, plus qu’ils n’en rougissaient eux-mêmes. Telles doivent être nos dispositions : éprouvons pour ceux qui nous ont injuriés, une douleur plus vive qu’ils ne l’éprouvent eux-mêmes. Car tout le dommage est pour eux. Si vous voyez un homme lancer des coups de pied contre des clous, et s’enorgueillir de sa bravoure, vous vous prendriez de pitié, vous verseriez des larmes à la vue d’une telle démence. De même vous devez plaindre, et non maudire ceux qui vous outragent, sans que vous leur ayez fait aucun mal : car ils font une grave blessure à leur âme. Quoi de plus criminel qu’une âme qui fait des imprécations ? Quoi de plus impure qu’une langue qui offre de tels sacrifices ? Vous êtes