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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/509

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nombre qui est la cause de la corruption, et ils ne sont plus rien. Voulez-vous savoir ce que les païens disent de notre cité ? comment ils diffament notre complaisance ? Le premier venu, disent-ils, n’a qu’à vouloir pour se faire écouter, et les partisans ne lui manquent jamais. O dérision ! ô ignominie ! Mais voici un autre sujet de risée et d’opprobre. Quelqu’un, par une faute grave, a-t-il mérité d’être puni, aussitôt grande rumeur, grandes alarmes : Prenez garde, il va vous quitter et passer à vos rivaux. Eh ! qu’il y passe, qu’il se donne à eux. Fût-il sans reproche, dès qu’il médite la défection, qu’il l’exécute ; sans doute, je le regrette je le déplore, j’en souffre, comme si l’on m’arrachait un de mes membres ; mais cette douleur ne va pas jusqu’à m’inspirer, pour la fuir, des choses indignes.

Nous ne dominons pas sur votre foi, mes bien-aimés ; nous ne commandons pas en maîtres. Chargés de la mission de vous instruire, nous ne pesons pas sur vous avec l’autorité des magistrats. Nous donnons des conseils, nous ne contraignons personne, et chacun reste libre de faire ou de ne pas faire ce qu’on lui dit. Nous ne serions coupables qu’en taisant ce qu’il nous est ordonné d’enseigner. Or, je ne veux pas qu’au jour du jugement vous puissiez dire : Personne ne nous a rien dit, rien expliqué ; nous étions dans l’ignorance, nous ne croyions pas commettre un péché. Je dis donc et je répète que faire schisme dans l’Église, c’est un aussi grand péché que d’embrasser l’hérésie. Dites-moi, si le sujet d’un roi s’abstenait à la vérité, de se donner à un autre roi, mais prenait la pourpre de son maître entre ses mains, la fendait jusqu’en bas à partir de l’agrafe, et la déchirait en mille lambeaux, serait-il puni moins sévèrement que s’il était transfuge ? Et s’il osait en outre égorger le roi lui-même, et mettre tout son corps en pièces, quel châtiment serait à la hauteur d’un pareil attentat ? Le roi, dont le meurtre lui aurait valu le plus terrible supplice, ne serait pourtant que son compagnon d’esclavage. Quel enfer ne serait donc pas trop doux pour celui qui égorge le Christ et dépèce son corps ? Celui dont nous sommes menacés suffira-t-il ? Non, sans doute, à beaucoup près. Apprenez cela, vous toutes qui êtes ici présentes, et rapportez-le à celles qui ne sont pas ici : car le mal vient en grande partie des femmes. Si quelqu’un de ces déserteurs croit se venger en agissant ainsi, il se trompe beaucoup. Si tu veux assouvir ta vengeance, voici un moyen que je t’offre : moyen je ne dis pas sans dommage pour toi (il n’en est pas de tel), mais moins pernicieux : donne-moi des soufflets, crache-moi au visage devant tout le monde, accable-moi de coups.

6. Quoi ! tu frémis à ces mots, et tu déchires le Seigneur sans frémir ! Tu mets en pièces le corps de ton maître, et tu n’es pas saisi d’horreur ! L’Église est notre maison paternelle ; nous n’y sommes qu’un corps et qu’une âme. Si c’est à moi que tu en veux, que ta colère s’arrête à moi. Pourquoi t’en prendre à Jésus-Christ ? Ou plutôt, pourquoi te meurtrir à regimber contre l’aiguillon ? Il n’est jamais bon de se venger. Mais punir en quelqu’un les fautes d’autrui, c’est un bien autre crime. Est-ce nous qui t’avons offensé ? Pourquoi sévir contre un innocent ? C’est le comble de la frénésie. Je ne parle ni à la légère ni par ironie ; j’exprime ce que je sens. Je voudrais que tous ceux qui ont contre moi de la rancune, et qui, par ressentiment, se font tort à eux-mêmes et passent dans l’autre camp, je voudrais qu’ils vinssent me frapper au visage, et, après m’avoir mis à nu, me déchirer à coups de fouet : que leurs reproches soient justes ou iniques, j’aimerais mieux les voir ainsi décharger sur moi leur colère, que persister dans leurs attentats. Qu’importe qu’un homme de rien subisse quelques outrages ? Sous le poids de l’humiliation, je prierais Dieu pour vous, et il vous ferait grâce. Non que j’aie confiance en moi, mais parce que je suis persuadé que Dieu accueille favorablement celui qui, étant offensé, prie pour ceux qui l’ont offensé. « Si quelqu’un a péché contre un homme, est-il écrit, on priera pour lui ». (1Sa. 2,25) Si mes prières étaient trop faibles, je m’adresserais à d’autres saints, et ils fléchiraient le Seigneur. Mais quand c’est à Dieu lui-même que remonte votre affront, à qui aurons-nous recours ?

Voyez quel choquant contraste ! Parmi les membres de cette Église, il en est qui n’approchent jamais des autels, ou une fois seulement par an, et encore est-ce étourdiment et sans préparation : d’autres sont, à la vérité, plus assidus, mais leur légèreté est lu même, ils ne font que causer et s’occuper de bagatelles : et ceux qui se montrent sérieux sont justement les auteurs du fléau. Si c’est de ce côté que votre zèle se porte, il vaut mieux que