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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/512

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donc, vous aussi, le feu dans votre cœur. Dérision, vanité que tout cela. Le feu est bon pour qu’on s’en serve et non pour qu’on l’adore ; c’est un esclave, un serviteur, un ministre, et non pas un maître : il est fait pour moi, et non pas moi pour lui. Si vous adorez le feu, pourquoi rester étendu sur votre lit de parade, tandis que votre cuisinier a ordre de rester auprès de votre Dieu ? Chargez-vous en personne de ces soins ; faites-vous boulanger, ou forgeron, si vous aimez mieux. Ces arts sont les plus nobles de tous, puisque votre Dieu les visite. Pourquoi mépriser des industries qui vous rapprocheraient de votre Dieu et les confier dédaigneusement à des esclaves. Le feu est une excellente chose, car il est l’ouvrage d’un artiste excellent : mais il n’est pas Dieu : il est seulement l’œuvre de Dieu. Ne voyez-vous pas combien il est indiscipliné ? Une fois qu’il a pris à une maison, il ne s’arrête plus. Il détruit sans relâche tout ce qu’il trouve à sa portée ; et, à défaut d’ouvriers ou de toute autre main pour réprimer ses fureurs, il ne connaît ni amis, ni ennemis : tout lui est bon. Voilà votre Dieu, et vous ne rougissez pas ! Ah ! elle est bien vraie, cette parole : « Dans la vanité de leur esprit ».

Mais le soleil, du moins, est un Dieu, dira-t-on. Pourquoi cela, et comment, dites-moi ? Est-ce à cause de la vive lumière qu’il projette ? Mais ne voyez-vous pas que les nuages en triomphent, que les lois de la nature l’asservissent, qu’il s’éclipse, que la lune et les nues amortissent son éclat ? D’ailleurs les nuages lui sont inférieurs en puissance : néanmoins ils prévalent souvent sur lui, et c’est une marque de la sagesse divine. Dieu doit se suffire à lui-même : or le soleil a besoin de mille choses, ce qui n’est pas d’un Dieu. Pour luire il lui faut de l’air, un air subtil : car un air épais ne laisserait point passer les rayons : il lui faut de l’eau, et un obstacle qui l’empêche de tout consumer. Si les sources, les lacs, les fleuves et les mers ne formaient une certaine humidité par l’exhalaison de leurs vapeurs, rien ne saurait préserver l’univers d’une conflagration. Vous voyez donc, dira-t-on, que c’est un Dieu. O délire ! ô dérision ! C’est un Dieu, attendu qu’il est capable de nuire ! C’est un Dieu parce qu’il n’a besoin d’aucun secours pour faire le mal, et de beaucoup de secours pour opérer le bien ! La nature divine n’admet point le mal dans son essence : les bienfaits, voilà ce qui la caractérise. Si donc ces choses répugnent entre elles, comment le soleil serait-il Dieu ? ne voyez-vous pas que les plantes vénéneuses sont nuisibles d’elles-mêmes, et ont besoin de beaucoup de choses pour devenir des remèdes ? C’est à cause de vous que le soleil est ce qu’il est, à savoir beau et infirme : beau, afin que vous reconnaissiez le Seigneur par son moyen ; infirme, afin que vous ne le confondiez pas avec le Seigneur.

Mais, dira-t-on, il nourrit les plantes et les graines. A ce compte, le fumier aussi devrait être Dieu, car il nourrit également. Et pourquoi ne pas réputer telles aussi, et la faux, et les mains du laboureur. Montrez-moi que le soleil nourrisse de lui-même et sans le secours de la terre, de l’eau ; du labourage ; qu’il suffise de répandre la semence pour que ses rayons fassent naître les épis. Que si ce n’est pas uniquement son œuvre, mais encore celle des pluies, pourquoi ne pas faire pareillement de l’eau une divinité ? Mais laissons ce point pour le présent. Pourquoi ne pas diviniser la terre ? et le fumier ? et le hoyau ? Nous allons donc tout adorer ! Quelle sottise ! Et pourtant l’épi naîtrait plus aisément sans soleil, que sans terre et sans eau : de même pour les plantes et pour tout le reste. Si la terre n’existait point, rien de tout cela ne verrait le jour. Mettez de la terre dans un pot, comme font quelquefois les femmes et les enfants, et répandez là-dessus une épaisse couche de fumier ; vous pourrez garder ce pot sous votre toit, des plantes, faibles à la vérité, pourront encore y pousser. La terre et le fumier jouent donc un plus grand rôle dans la végétation, et, par conséquent, seraient plus dignes d’adoration que le soleil. Celui-ci a besoin du ciel, besoin de l’air, besoin des eaux, comme d’un frein pour réprimer les ravages que sa force pourrait causer, et l’empêcher de déchaîner partout ses rayons comme des coursiers fougueux. Et dites-moi, ou est-il durant la nuit ? Où émigre ce Dieu ? La nature divine ne comporte point ces limites : elles sont le propre des corps. Mais on dira : il y a une force en lui, il se meut. Et cette force est un Dieu, dites-moi ? Mais alors d’où vient qu’elle a besoin de quelque chose et ne peut contenir le feu des rayons ? Je ne puis que répéter ce que j’ai dit. Qu’est-ce maintenant que cette force ? Le pouvoir d’éclairer réside-t-il en elle, ou éclaire-t-elle par le moyen du soleil, sans participer