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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/630

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vos mains, qui vous servent à dérober, vos pieds, qui vous portent au mal, en un mot tout votre corps ne tomberait-il pas sous le fer ? En effet, votre ouïe, doucement flattée, a étendu sa molle influence sur votre âme, et vos narines, en sentant des odeurs délicates, ont charmé votre intelligence et l’ont précipitée à la recherche les plaisirs. Eh bien, retranchons tout, et nos oreilles, et nos mains, et nos narines. Mais c’est là le dernier degré de l’aberration, c’est une monstrueuse folie inspirée par Satan. Il fallait se contenter de régler les mouvements désordonnés de l’âme ; mais le génie du mal, toujours avide de sang, vous a fait croire que l’artiste s’est trompé et qu’il fallait briser l’instrument qu’il avait façonné. Mais quand le corps est trop bien nourri, disent-ils, comment empêcher que les désirs n’y prennent feu ? Mais remarquez encore une fois que c’est la faute de l’âme : si la chair est trop bien nourrie, cela ne dépend pas de la chair, mais de l’âme. Si elle voulait affaiblir la chair, elle en aurait tous les moyens. Tandis que vous, vous agissez d’une manière absurde, vous faites comme un homme qui, en voyant un autre qui allume un feu, y met du bois, et incendie sa maison, ne dirait rien à celui qui a allumé le feu, mais adresserait des reproches au feu lui-même, parce qu’il a reçu beaucoup de bois et s’est élevé à une grande hauteur. Ces reproches reviennent de droit non pas au feu, mais à celui qui l’a allumé. Car le feu nous a été donné pour cuire nos aliments, pour nous éclairer et pour nous rendre d’autres services, et non pour brûler les maisons. De même les appétits charnels nous ont été donnés pour perpétuer les familles ainsi que la race humaine, et non pour nous pousser à l’adultère, à la fréquentation des mauvais lieux et à la débauche pour faire de nous des pères de famille et non des adultères : pour vivre légitimement avec une femme, et non pour la corrompre, contrairement à la loi : pour déposer dans son sein ces germes de fécondité, et non pour vicier ceux que son époux y a laissés. L’adultère n’est pas le résultat des appétits charnels, mais bien de l’incontinence, car le désir nous fait rechercher simplement le commerce des femmes, mais non pas de cette manière.
4. Ce n’est point sans intention que nous avons parlé ainsi : c’est une première lutte, une première escarmouche contre ceux qui prétendent que la création de Dieu est mauvaise, et qui négligent les faiblesses de l’âme pour s’emporter, comme des fous furieux, contre le corps, et calomnier la chair. À ce sujet l’apôtre Paul prononce ensuite d’autres paroles, non pour accuser la chair, mais les suggestions du diable.
« Car vous êtes appelés, mes frères, à un état de liberté ; ayez soin seulement que cette liberté ne vous serve pas d’occasion pour vivre selon la chair (13) ». À partir d’ici il semble ne vouloir parler que de la morale ; il y a dans cette épître quelque chose de particulier et qu’on ne retrouve dans aucune autre du même apôtre. Il partage toutes ses épîtres en deux parties : la première consacrée à l’explication du dogme, la dernière à des conseils sur la vie que doivent mener les fidèles ; tandis que maintenant, après avoir eu occasion de parler de la morale, il revient de nouveau à l’explication du dogme. Ces deux choses se tiennent, quand on veut réfuter les Manichéens. Que signifient ces mots : « Ayez soin seulement que cette liberté ne vous serve pas d’occasion pour vivre selon la chair ? » Jésus-Christ, dit-il, nous a délivrés du joug de l’esclavage, il nous a rendu la pleine liberté de nos actions, non pour que nous en abusions, mais pour que nous puissions mériter une plus belle récompense, en nous conformant aux préceptes d’une philosophie plus belle. Comme il lui est arrivé en maintes circonstances de dire que la loi est le joug de l’esclavage, et que la grâce est ce qui nous a délivrés de la malédiction, il ne veut pas qu’on aille croire que, s’il nous recommande de renoncer à la loi, c’est pour nous permettre de vivre sans loi aucune, et il rectifie cette opinion erronée en disant : Ce n’est pas un corps de doctrines contraires à toute loi, mais une philosophie supérieure aux lois, car les liens dont nous chargeait la loi sont brisés. Et si je vous parle ainsi, ce n’est pas pour vous abaisser, mais pour vous élever. L’habitué de mauvais lieux, et l’homme qui garde sa virginité, sortent tous deux des limites de la loi, mais non pour le même motif : l’un s’abaisse vers ce qui est plus vil, l’autre s’élève vers ce qui est plus beau : l’un dépasse, l’autre surpasse la loi. Voici donc le sens des paroles de Paul : Le Christ vous a débarrassés du joug, non pour vous laisser bondir et ruer, mais pour que vous marchiez en bon ordre, sans y être contraints