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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/64

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entière ? – Mais pourquoi tant de paroles ? Il est bien évident d’ailleurs que ce n’est point la beauté du corps, ni celle du visage qui engendre cette maladie, mais la paresse et la lâcheté de l’âme. Combien n’en voit-on pas qui dédaignent les femmes vraiment belles, pour se livrer à d’autres vraiment laides. Donc l’amour ne vient point de la beauté ; autrement, ces hommes dont je parle eussent donné la préférence aux premières. – Quelle est donc la cause de l’amour ? S’il ne vient point de la beauté, où a-t-il donc son principe et sa racine ? – Vient-il du démon ? Sans doute. Mais ce n’est pas la question. II s’agit de savoir si nous lui donnons nous-mêmes naissance. Car ce n’est pas le démon tout seul qui l’inspire, nous agissons de concert avec lui. Ce qui engendre surtout cette maladie pernicieuse, c’est le trop de familiarité, ce sont les paroles flatteuses, c’est l’oisiveté, le désœuvrement, l’inoccupation.
7. Grande, oui, bien grande est la force de l’habitude ; elle est si grande qu’elle devient une nécessité. Si donc l’habitude est la cause du mal, n’est-il pas évident que l’habitude contraire le fera disparaître. Que d’amants ont cessé d’aimer en ne voyant plus celles qu’ils aimaient ! Quelque temps sans doute c’est une privation amère et pénible ; mais l’amertume se change ensuite en douceur, et on ne pourrait retomber, quand même on le voudrait. – Mais, direz-vous, avant d’avoir contracté l’habitude, dès le premier aspect, me voilà séduit. – Lâcheté encore, mollesse, négligence de vos devoirs, abandon de vos affaires les plus urgentes. Vous ressemblez à un vagabond que tous les maux envahissent ; votre âme me fait l’effet d’un enfant qui erre au hasard, et que le premier vent emmène en servitude. Il faut qu’elle exerce son activité ; si vous ne l’appliquez à des actions sérieuses, comme elle ne peut se passer d’agir, elle se crée une autre occupation. La terre que l’on n’ensemence point, où l’on ne plante rien, ne produit que de l’herbe ; ainsi en est-il de l’âme ; n’a-t-elle rien de sérieux en vue, elle se laisse aller au mal par le désir qu’elle a d’agir. L’œil, dont la fonction est de voir, à défaut de beaux objets, se portera sur des objets repoussants. De même l’âme, à défaut d’occupations utiles, s’occupera de futilités. Que le travail, que l’application puisse repousser la première attaque, on peut en donner bien des preuves. C’est pourquoi si vous voyez une belle femme et que vous vous sentiez affecté, cessez de la voir et vous êtes délivré.
Et comment puis-je ne plus la voir, entraîné que je suis par la passion ? – Appliquez-vous à d’autres objets capables de distraire vota âme : lisez, méditez, défendez le pauvre, venez au secours de l’opprimé, priez, songez à la vie future ; voilà autant de moyens d’enchaîner votre âme. Alors vous pourrez guérir, je n dis pas une, blessure toute fraîche encore mais une blessure profonde, invétérée. Une insulte, dit le proverbe, suffit pour éteindre l’amour dans le cœur de l’amant ; à plus forte raison ces spirituels enchantements triompheront-ils du mal, pourvu que nous voulions nous éloigner de l’objet de notre passion. Mais si nous continuons à fréquenter, à entretenir ces personnes qui lancent ces traits contre nous, qui nous font ces blessures, si nous aimons à parler d’elles, à jouir de leur conversation, nous ne ferons qu’accroître notre maladie. Comment pouvez-vous espérer d’éteindre le feu, si chaque jour vous activez la flamme ? – Voilà ce que j’avais à dire aux jeunes gens sur les effets de l’habitude.
Quant aux hommes faits ; quant à ceux qu’savent réfléchir, je ne puis rien leur conseiller de plus efficace que la crainte de Dieu, la pensée de l’enfer, le désir du royaume de cieux : cela suffit bien pour éteindre le feu de la passion. Dites-vous encore que ce que vos yeux admirent n’est pas autre chose que de l’humeur et du sang et le suc d’une nourriture corrompue. – Mais du moins, dites-vous, ce visage est comme une fleur brillante. – Est-il rien de plus brillant que les fleurs de la campagne ? Et cependant elles se flétrissent elles se corrompent. Aussi, ne vous attachez point à cette fleur ; voyez plus avant par la pensée ; enlevez par la pensée cette peau si belle, et considérez ce qu’elle cache. Le corps des hydropiques a-t-il rien de repoussant, ne brille-t-il pas au contraire des plus vives couleurs ? Néanmoins, la seule pensée de l’humeur qu’il renferme nous rebute, et nous ne voudrions pas baiser un hydropique.
Cet œil est plein de tendresse et en même temps de vivacité, ce sourcil s’étend délicieusement, ces paupières sont azurées, cette prunelle respire la douceur, le regard est d’une ineffable sérénité. – Mais après tout, qu’est-ce autre chose que des nerfs, des veines et des