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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/85

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le premier, je suis cependant le premier à vous prier. Non, je ne veux rien rappeler de tout cela. Ne suffit-il pas du bienfait qu’il-vous accorde aujourd’hui pour vous décider à une réconciliation ? Quel est-il donc, ce bienfait ? « Celui qui n’a point connu le péché, pour vous il l’a fait péché… (21) ». Ne vous aurait-il jamais accordé d’autres faveurs, n’était-ce pas une faveur immense que de livrer son Fils pour ceux qui l’avaient outragé ? Oui, il l’a donné, et ce n’est pas assez, il a permis que ce Fils, l’innocence même, fût accablé d’outrages pour ceux-mêmes qui les lui infligeaient. – Ce ne sont point les paroles de l’apôtre ; elles sont encore plus expressives. « Celui », dit-il, « qui ne connaissait point le péché ; qui était la justice même, « il l’a fait péché », c’est-à-dire, il l’a laissé condamner comme un pécheur, mourir comme un homme chargé de malédictions : « Car maudit est celui qui est pendu au bois ». (Deut. 21,23) Une mort ordinaire n’était rien en comparaison de cette mort si atroce. Et c’est ce que saint Paul nous donne à entendre, quand il dit : « S’étant fait obéissant jusqu’à la mort et à la mort de la croix ». (Phil. 2,8) Il y avait là non seulement le supplice, mais l’ignominie. Voyez donc que de bienfaits vous avez reçus ! C’est chose admirable qu’un pécheur consente à mourir pour un autre quel qu’il soit ; mais quand c’est un juste qui meurt, et qui meurt pour des pécheurs, et qui meurt comme un maudit et pour nous mériter des faveurs auxquelles nous ne pouvions prétendre (afin que par lui nous devenions justes de la justice de Dieu), comment dire, comment peindre tant de générosité ? Celui qui était juste, dit l’apôtre, il l’a fait pécheur, afin de justifier les pécheurs. Et ce n’est pas même ainsi qu’il parle ; il tient un langage plus sublime encore ; ce n’est point l’état qu’il exprime, mais la qualité elle-même. Il ne dit pas : il l’a fait pécheur, mais : « il l’a fait péché » ; il ne dit pas : celui qui n’a point péché, mais celui qui n’a point connu le péché ; il ne dit pas : afin que nous devenions justes, mais afin que nous devenions à la justice », et même « la justice de Dieu ». C’est en effet la justice de Dieu, quand elle ne vient point des œuvres, quand elle n’est ternie d’aucune tache, niais bien le fruit de la grâce qui fait disparaître toute imperfection. De telles expressions ne nous permettent point de nous enorgueillir : car c’est de Dieu que nous vient ce trésor, et nous apprenons ainsi à connaître la puissance de notre bienfaiteur. La loi et les œuvres produisaient « simplement la justice » ; celle dont parle l’apôtre est. « la justice de Dieu ». Pénétrons-nous bien de ces pensées, et qu’elles nous effraient plus que la vue même de l’enfer ; admirons de tels objets plus que le royaume des cieux ; et regardons comme une peine non d’être châtiés, mais de tomber dans le péché. Si Dieu ne nous châtiait pas lui-même, nous devrions nous imposer à nous-mêmes un châtiment, après nous être montrés ingrats envers un tel bienfaiteur. Que de fois un amant passionné ne s’est-il point donné la mort, parce qu’il n’a pu assouvir sa passion ? et après l’avoir assouvie, que de fois ne s’est-il pas jugé indigne de vivre pour avoir outragé son amante ? Et nous qui avons offensé un Dieu si bon, si miséricordieux, nous ne nous précipiterons pas dans le feu de l’enfer ? Ce que je vais dire paraîtra singulier, étrange, incroyable à la plupart : Celui qui sera puni après avoir outragé un maître si plein de bonté, devra s’estimer plus heureux, s’il est raisonnable, et s’il aime Dieu, que celui qui n’aura pas été puni.
4. N’en avons-nous point la preuve dans la vie commune ? Si vous injuriez un de vos amis, vous n’avez de repos qu’après vous être punis vous-mêmes ou reçu quelque injure à votre tour. Écoutez ce que disait David : « Moi qui suis le pasteur, j’ai péché ; moi qui suis le pasteur, j’ai commis l’injustice : et ceux-ci, qui forment mon troupeau, quel mal ont-ils fait ? Je vous en conjure, tournez votre main contre moi et contré la maison de mon père ». (2Sa. 24,17) Après la mort d’Absalon, il s’infligea les plus rudes tourments ; et cependant, bien loin d’être coupable, C’est lui qui avait reçu l’outrage. Mais l’amour qu’il portait à son fils, lui faisait rechercher ces douleurs où il trouvait quelque consolation. Nous aussi, quand nous péchons contre ce Dieu que nous ne devrions point offenser, empressons-nous de nous punir nous-mêmes. Ne voyez-vous point ceux qui ont perdu des enfants bien chers, se frapper la poitrine, s’arracher les cheveux ? C’est une consolation pour eux de s’affliger pour ceux qu’ils aiment. Si donc, sans avoir fait aucun mal à nos amis, nous trouvons du soulagement à nous affliger de leurs propres douleurs, n’en trouverons-nous point à nous punir nous-mêmes, après