Aller au contenu

Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/122

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

été dits alors pour ceux qui étaient présents, ils ont été écrits pour tous ceux qui devaient venir dans la suite. C’est pourquoi, bien que Jésus-Christ s’adresse à ses disciples, il ne détermine pas néanmoins ce qu’il dit à leurs seules personnes, mais parlant d’une manière indéterminée, il propose en général ces béatitudes pour tout le monde. Il ne dit pas : Vous êtes bienheureux si vous êtes pauvres : mais il dit en général : « Bienheureux sont les pauvres ! »

Quand même Jésus-Christ aurait appliqué ces béatitudes à ses disciples en particulier, elles n’auraient pas laissé de regarder tous les hommes. Ainsi lorsqu’il a dit : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation du siècle », il ne l’a pas dit seulement à ses apôtres, mais il l’a dit en leurs personnes à toute la terre. De même en leur disant qu’ils seront heureux lorsqu’ils seront persécutés, tourmentés et affligés d’une infinité de maux ; il ne le dit pas seulement pour ! es apôtres, non, c’est pour tous ceux qui auront triomphé des mêmes épreuves qu’il tresse la couronne de gloire. Pour vous montrer encore plus clairement que tout ce que dit ici le Sauveur, vous regarde vous-mêmes, et généralement tous les hommes qui voudront lui obéir, écoutez de quelle manière il commence cet admirable discours.

« Bienheureux, dit-il, les pauvres d’esprit ; parce que le royaume du ciel est à eux (3). » Qui sont ceux qu’il appelle « pauvres d’esprit » ? Ce sont les humbles et ceux qui ont le cœur contrit. Car par le mot d’esprit, il entend le cœur et la volonté. Comme il y en a beaucoup qui sont humiliés non par leur volonté, mais seulement par la nécessité de leur état, il ne les comprend point dans cette béatitude, puisque l’involontaire ne saurait être méritoire, et il ne l’étend que sur ceux qui s’abaissent et s’humilient volontairement. C’est à ceux-là qu’il donne le premier rang entre tous ceux qu’il appelle heureux.

Mais pourquoi Jésus-Christ ne dit-il pas bienheureux les humbles d’esprit, mais « bienheureux les pauvres d’esprit » ? C’est parce que ce mot de pauvres[1], dit beaucoup plus que celui d’humbles. Car il entend ici cette sorte de personnes qui sont tout abattues devant Dieu, et qui écoutent avec frayeur tout ce qu’il leur dit. Ce sont ces personnes que Dieu regarde favorablement, comme il dit lui-même par le prophète Isaïe : « Sur qui jetterai-je les yeux, sinon sur celui qui est humble et paisible, et qui tremble à la moindre de mes paroles ? » (Isa. 66,2)

2. L’humilité a plusieurs degrés. Les uns ne sont que médiocrement humbles ; les autres le sont parfaitement. David loue cette humilité parfaite, qui ne consiste pas seulement dans un abaissement, mais dans un entier brisement de cœur, lorsqu’il dit : « Le sacrifice agréable à Dieu, est un esprit abattu d’affliction et de repentir, ô Dieu, vous ne mépriserez point un cœur contrit et humilié. » (Psa. 50,19) C’est cette humilité que les trois enfants de là fournaise offrirent à Dieu comme un grand sacrifice, lorsqu’ils lui dirent : « Recevez-nous, Seigneur, dans un esprit contrit, et dans un cœur humilié. » (Dan. 3,39)

C’est à cette humilité que Jésus-Christ donne le premier rang dans ses béatitudes, parce que ce déluge de maux qui inonde toute la terre n’a point d’autre source que l’orgueil. Le diable n’était pas tel d’abord : c’est par l’orgueil qu’il est devenu le diable. Saint Paul l’assure lorsqu’il dit d’un néophyte : « De peur que s’élevant d’orgueil il ne tombe dans la même condamnation que le démon. » (1Ti. 3,6) C’est ainsi que le premier homme, pour s’être laissé enfler par les orgueilleuses espérances que le démon lui avait fait concevoir, tomba dans le précipice, et devint sujet à la mort. En s’imaginant qu’il deviendrait Dieu, il perdit l’état qu’il possédait. Dieu même lui reprocha sa folie, et lui dit en lui insultant : « Voilà Adam devenu comme l’un de nous. » (Gen. 3,22) Cet ange orgueilleux fait tomber depuis tous les ambitieux dans la même impiété, en les abusant de l’illusion qu’ils deviendront semblables à Dieu.

Comme donc l’orgueil était, pour ainsi dire, le mal culminant de l’homme, et la racine et la source de tous les péchés du monde, Jésus-Christ, pour le guérir par un remède contraire, établit d’abord cette loi d’humilité, comme le fondement inébranlable de l’édifice qu’il veut bâtir. Quand ce fondement sera posé, celui qui bâtit pourra sans crainte élever le reste de l’édifice ; mais s’il vient à manquer, quand

  1. Le mot pauvres ne traduit que très imparfaitement le grec πτωκός qui signifie étymologiquement ( πτωσσω) craintif, timide, tremblant, et par extension chétif, misérable, pauvre. C’est au sens étymologique que saint Chrysostome s’attache ici, de sorte que selon lui l’expression (οἱ πτωκοἱ τῶ πνεύματι) veut dire ceux qui ont l’esprit, la conscience timide, tremblante)