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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/123

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l’édifice monterait jusqu’au ciel, il faut nécessairement qu’il se renverse et qu’il tombe en ruine. Jeûne, prière, œuvres de miséricorde, chasteté, réunissez toutes les vertus, si vous exceptez l’humilité, tout vous échappe, tout périt.

Le pharisien de l’Évangile est une preuve de ce que je dis. Après s’être déjà élevé jusqu’au plus haut degré de la vertu, il tomba et il perdit tout, parce qu’il n’avait point en lui cette mère de tous les biens. Car comme l’orgueil est la source de toute malice, l’humilité est le principe de toute sagesse. C’est pourquoi Jésus-Christ commence par elle ce discours, afin d’arracher de nos cœurs jusqu’aux moindres racines de la vanité.

Mais d’où vient, me direz-vous, qu’il parle de l’humilité à ses disciples qui étaient dans un état si humble ? Quel sujet avaient-ils de s’élever, étant pêcheurs, pauvres, grossiers, et méprisables ? Je vous réponds que si Jésus-Christ ne disait pas ces paroles pour ses disciples, il les disait pour les autres qui étaient présents, et pour tous ceux qui devaient écouter un jour ses apôtres, afin que personne ne méprisât leur humilité. Mais plutôt, c’était aussi pour ses disciples qu’il disait ces choses. Car en admettant qu’ils n’eussent pas besoin alors de cette instruction, elle leur était néanmoins bien nécessaire pour l’avenir, lorsqu’ils feraient tant de prodiges et de miracles, qu’ils seraient si honorés de toute la terre, et qu’ils auraient tant de crédit et de confiance auprès de Dieu. Ni les richesses, ni la puissance, ni même la royauté ne seraient en état d’enfler le cœur autant que toutes les grâces qui furent dans la suite accordées aux apôtres. Et avant même que de faire des miracles, n’avaient-ils pas dès lors quelque sujet de s’élever en voyant cette multitude de peuple, et ce concours de monde qui venait écouter leur Maître ? Ne pouvaient-ils pas ressentir déjà quelque effet de la fragilité humaine ? C’est pourquoi Jésus-Christ commence d’abord par les porter à l’humilité.

Il ne prend pas la forme de l’exhortation, ni le ton impératif pour introduire sa révélation, il la propose sous forme de béatitude, manière plus attrayante de présenter sa parole et d’ouvrir à tous le stade de la doctrine. Il ne dit pas en particulier : Celui-ci, ou celui-là ; mais généralement tous ceux qui feront ce que je dis, seront bienheureux : quand vous seriez misérable, pauvre, esclave, étranger, ignorant, rien ne vous empêchera d’être heureux si vous êtes humble.
Ayant donc commencé par où il convenait surtout de le faire, il passe à une autre béatitude qui semble opposée au sentiment naturel de tous les hommes. Car au lieu que tout le monde appelle heureux ceux qui se divertissent et qui se réjouissent, et malheureux ceux qui sont dans l’affliction, dans la pauvreté et dans les larmes, Jésus-Christ déclare au contraire que ceux-ci sont heureux et les autres malheureux. « Bienheureux, dit-il, ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés (4). » Le monde, au contraire, ne trouve rien de plus malheureux. Aussi avait-il commencé par faire des miracles afin d’acquérir l’autorité qui lui était nécessaire pour porter ces lois.

Il n’appelle pas heureux généralement tous ceux qui pleurent, mais ceux qui pleurent pour leurs péchés. Car les larmes que l’on répand pour le siècle et la vie présente, non seulement ne sont pas heureuses, mais elles nous sont même interdites comme dangereuses et mortelles, selon cette parole de saint Paul : « La tristesse de ce monde produit la mort, mais la tristesse qui est selon Dieu produit une pénitence stable pour le salut. » C’est cette sorte de tristesse que Jésus-Christ appelle heureuse, et il ne marque pas seulement une tristesse commune, mais une profonde tristesse et qui aille jusqu’aux pleurs, lorsqu’il dit : « Heureux, non pas ceux qui sont tristes, mais ceux qui pleurent. » Ce précepte, mes frères, nous mène au comble de la vertu et de la sagesse chrétienne. Car si ceux qui pleurent la mort d’un fils, d’une femme ou d’un de leurs proches, ne sont agités d’aucune passion durant tout le temps de leur douleur, s’ils n’ont alors aucun mouvement ni d’avarice, ni d’impureté, ni d’orgueil, ni d’envie, ni de vengeance, ni d’aucun autre vice semblable, parce qu’ils sont tout entiers livrés à leur tristesse ; combien ceux qui pleurent leurs péchés avec un regret sincère se montreront-ils plus dégagés de toutes les passions de l’âme ? Mais quelle sera leur récompense ? dit le Sauveur. « Parce qu’ils sont consolés », dit le Sauveur. Dites-nous donc où ils recevront cette consolation ? Sera-ce en ce monde ou en l’autre ? Ce sera dans tous les deux. Comme cette obligation de pleurer pouvait paraître dure et