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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/169

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un désir de s’acquérir de la gloire. Et n’est-ce pas une cruauté extrême, lorsque votre frère meurt de faim, de penser à vous procurer de l’estime et non à le soulager dans ses maux ? Ainsi la vertu de l’aumône ne consiste pas simplement à donner, mais à donner de la manière et pour la fin que Dieu nous commande.
2. Après qu’il a blâmé la vanité des hypocrites, jusqu’à faire rougir ceux de ses auditeurs qui en étaient coupables, il apporte maintenant le remède à une âme frappée de ce mal, et, après avoir dit ce qu’il faut éviter en faisant l’aumône, il dit ensuite ce qu’il faut y observer. « Mais lorsque vous ferez l’aumône, que votre main gauche ne sache pas ce que fait votre main-droite (3). » Il ne parle point encore ici de la main du corps, mais il se sert de cette expression, comme s’il disait : Il faudrait, si cela se pouvait faire, que vous ignorassiez vous-même ce que vous faites, et que vos propres mains dont vous vous servez pour faire vos bonnes œuvres ne les sussent pas. Il n’entend pas par ce mot de main gauche, comme pensent quelques-uns, que nous ne devons nous cacher que des personnes injustes. Dieu étend ce commandement du secret à l’égard de toutes sortes de personnes.
Considérez maintenant quelle est la récompense qu’il promet. Comme il a fait voir le châtiment à encourir par l’ostentation, il montre maintenant la récompense à mériter par la modestie, double considération dont il se sert pour exciter plus puissamment et pour conduire à des préceptes plus relevés. Car il nous invite à ne pas perdre de vue que Dieu est présent partout ; que nos biens ou nos maux ne se terminent pas à cette vie ; que nous devons en sortant de ce monde, être présentés à un tribunal terrible, où nous rendrons un compte exact de toutes nos actions, pour en recevoir ou la peine, ou la récompense ; enfin qu’aucune chose grande ou petite n’est cachée aux yeux de ce juge, si bien cachée soit-elle à ceux des hommes. C’est ce que Jésus-Christ insinue en ces termes : « Afin que votre aumône se fasse en secret, et votre Père qui voit ce qui est de plus secret, vous en rendra lui-même la récompense devant tout le monde (4). » Il semble qu’il expose l’homme sur un grand et magnifique théâtre, et qu’il lui donne ce qu’il désirait, avec une magnificence qu’il n’aurait osé espérer. Car que prétendez-vous ? lui dit-il. N’est-ce pas d’avoir quelques témoins de vos bonnes œuvres ? Et vous aurez pour témoins non les anges et les archanges, mais Dieu même. Que si vous souhaitez que les hommes en soient spectateurs, je ne vous priverai pas même de cette satisfaction, lorsque le temps en sera venu, et ce que je vous donnerai passera tous vos souhaits. Si vous vouliez faire paraître ici vos bonnes œuvres, vous le feriez peut-être à l’égard de dix, ou de vingt, ou de cent personnes ; mais si vous avez soin de les cacher, Dieu lui-même les découvrira en présence de toute la terre. C’est pourquoi, si vous avez tant de désir que les hommes connaissent vos bonnes actions, cachez-les ici un peu de temps, et ils les verront un jour avec plus d’éclat, lorsque Dieu les fera paraître, qu’il les louera, et qu’il les exposera aux yeux de tout l’univers. Ceux qui s’aperçoivent ici que vous voulez être vu, vous blâment comme un homme vain. Mais quand ils vous verront un jour couronné de gloire, non seulement ils ne vous blâmeront pas, mais ils vous admireront. Puis donc que vous pouvez, en différant un peu de temps, recevoir une plus grande récompense, et vous acquérir une gloire pins solide ; quel aveuglement serait-ce de perdre par votre précipitation, l’un et l’autre, et de souhaiter que les hommes soient spectateurs du bien que vous faites, sans vous contenter qu’il soit vu de Dieu seul, de qui vous en attendez le prix et la récompense ? Que si nous souhaitons d’avoir quelque témoin de nos actions, qui devons-nous choisir plutôt que notre Père qui est dans le ciel, puisque lui seul a le pouvoir de nous couronner ou de nous punir ? Mais quand même notre vanité ne nous devrait pas coûter la perte de notre salut, il serait néanmoins indigne de celui qui est jaloux de la gloire, d’aimer mieux avoir pour témoins de ses actions les yeux des hommes que ceux de Dieu. Car qui serait assez fou dans le monde, pour ne pas se contenter qu’un roi fût spectateur d’une action héroïque qu’il aurait faite, mais qui souhaiterait d’être regardé alors, et d’être loué par les plus méprisables de tous les hommes ? C’est pourquoi Jésus-Christ ne nous défend pas seulement de ne point aimer à faire voir nos bonnes œuvres, mais il nous commande même de les cacher. Car il y a bien de la différence entre ces deux choses, et c’est